SAINT-JOHN PERSE (1887-1975)
« J'habiterai mon nom » (1940-1957)
À Washington, il vécut de son travail de conseiller de langue française à la Library of Congress. C'était vraiment l'exil, « A name in which to live », dira de lui G. Vahanian ; il a vraiment « habité son nom ». « Portes ouvertes sur les sables, portes ouvertes sur l'exil. » Jamais Alexis Léger ne céda à la psychologie de « l'émigré », qu'il ne fut du reste pas. Aucune amertume dans cette phase de sa vie. Des vocables neufs, seulement, disent le négatif de cette séparation : exil, abîme, épave, ossuaire ; des adjectifs comme vain, nul, trouble, etc.
Saint-John Perse accepte sa nouvelle patrie, l'épouse en quelque sorte. Vents (1946) marque une troisième phase de son œuvre. Partant du Canada et des côtes est des États-Unis, le poème évoque ces tourbillons énormes, « mal domptés sous le genou », dont parlera Claudel à propos de ce monde neuf. C'est d'abord l'irrésistible course vers l'Ouest : « C'étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde, de très grands vents en liesse par le monde, ... ah oui, de très grands vents sur toutes faces du vivant. » Des gratte-ciel de Montréal, où des aigles nichèrent, à l'espèce de gigantesque moteur à réaction qu'est la Californie, Vents évoque, dans les villes, le soir, les « filles, à la sortie des salles, ce mouvement encore du soir dans vos chevelures libres... » Au cœur de ce monde de béton et d'acier, la neige, et la femme : « Et c'est ruée encore de filles neuves à l'An neuf, portant, sous le nylon, l'amande fraîche de leur sexe. »
En même temps, Vents est parcouru d'une autre gravitation, celle des États du sud des États-Unis, « où chaque palme est d'abord son ombre ». Étonnante vision, si l'on songe à l'œuvre d'un Green et d'un Faulkner, comme aussi à l'actuelle situation des États-Unis, partagés en l'exploration de l'espace et la perception personnelle du cosmos.
Au-delà de cette première signification, explicite, une autre se dessine, la polarité, la respiration cosmique « masculine-féminine ». Saint-John Perse eut toujours l'intuition de « l'âme chevaline », dans l'être humain, et en même temps l'expérience du « Prince sous l'aigrette ». La double alternance des États-Unis est une sorte d'agrandissement photographique de « l'être en face » (Gegenüber-sein) et de « l'être avec » (Mit-sein). Plus profondément encore, on perçoit le « yin » et le « yang » de la tradition chinoise.
Simultanément à ce travail poétique, Alexis Léger continua de s'intéresser activement à la politique comme d'explorer le monde – Mexique, Caraïbes, Bahamas, Tobago, etc. En 1957, il revient en France. Il partagera désormais ses étés et ses hivers entre la « petite Polynésie » et sa maison de Washington. En 1958, il épouse Dorothy Russel, Américaine de souche anglaise.
Au terme de cette troisième phase de l'œuvre et de la vie, il apparaît que les écrits de Saint-John Perse ne sont pas un discours sur les choses. Le procédé artistique, les rythmes, images, substantifs s'effacent, deviennent comme un miroir qui se fait oublier, au profit des choses, et du mouvement, dans l'espace et dans le temps, qui emporte l'univers. Qui fréquente l'homme et l'œuvre désire savoir le nom de tel arbre, de tel animal, de tel instrument marin ; non pour le mot, mais pour la connaissance, le contact qu'il crée entre la réalité et l'individu. C'est là un des facteurs qui rendent compte du style de Saint-John Perse. Sa phrase, par exemple, ne comporte que peu d'adjectifs, ce tissu adipeux, disait Gide, dont la multiplication dissimule une idée vague. Chez Alexis Léger, les adjectifs sont souvent des monosyllabes. Ils forment alors – par exemple des épithètes[...]
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Écrit par
- Charles MOELLER : professeur à l'université de Louvain, sous-secrétaire de la Congrégation de la foi, Rome
Classification
Média
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