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SAINT-POL-ROUX (1861-1940)

« Quarante ans dans le dix-neuvième, quarante dans le vingtième, la terrestre existence de Saint-Pol-Roux est exactement balancée sur un couteau qui est l'aube de notre siècle », écrit André Pieyre de Mandiargues. Quant à l'œuvre, elle semble vouloir dépasser toute limite temporelle. Le premier livre, Golgotha, date de 1884, et le dernier paraîtra à peu près un siècle plus tard : une masse considérable d'inédits (Le Trésor de l'homme, La Répoétique, etc.) n'a été découverte et publiée que plus de trente ans après sa mort. Par cette surprise posthume, Saint-Pol-Roux reste un auteur à découvrir. Plus que celle d'aucun autre son image est changeante. Ainsi, ses premières œuvres sont d'un poète symboliste – Mallarmé l'appelle « mon fils » –, plus tard, les surréalistes le fêtent comme un précurseur – André Breton lui dédie Clair de terre. Puis on le redécouvre comme le premier baroque moderne. Et chaque livre qui paraît nous oblige à réviser nos jugements.

Une œuvre double

Pierre-Paul Roux, dit Saint-Pol-Roux, semble être un avatar de Janus : une vie et une œuvre à deux faces. La biographie est ainsi divisée : d'une part – après la naissance à Saint-Henri près de Marseille et l'adolescence à Lyon –, la vie parisienne de la fin du xixe siècle, les manifestations littéraires accompagnant la naissance du symbolisme ; d'autre part, la solitude, l'exil choisi à l'extrême pointe de la Bretagne, « au bout du monde ». Jusqu'au jour cruel de 1940 où à Brest un soldat allemand fit de Saint-Pol-Roux un « poète assassiné ».

L'œuvre est également partagée. Dans un premier temps, Saint-Pol-Roux écrit les poèmes en prose des Reposoirs de la procession : trois volumes, respectivement intitulés La Rose et les épines du chemin, De la colombe au corbeau par le paon et Les Féeries intérieures, publiés entre 1893 et 1907. Saint-Pol-Roux en explique lui-même l'ordonnance : « Le seul ordre donné à ces courtes exégèses est celui de la journée. Chaque tome commence avec l'aube, suit le cours du soleil et s'achève aux étoiles... » Cet ordre circulaire a une signification. Pour le poète, le mouvement du monde est un cycle de métamorphoses, celui de l'être aussi. La matière n'est que de l'idée saisissable ; nous vivons dans une forêt, non de symboles, mais de contraires qu'il faut tenter d'unir. C'est ce que Saint-Pol-Roux nommait l'idéoréalisme, terme dont Breton reconnaît, dans le Manifeste du surréalisme (1924), qu'il précède en l'annonçant le surréalisme. Le poète travaille à l'avènement de ce nouvel état (l'harmonie des contraires) : chaque image en est, à sa manière, l'épiphanie. On comprend que Saint-Pol-Roux ait été, comme le disait Remy de Gourmont avant les surréalistes, « l'un des plus féconds et des plus étonnants inventeurs d'images et de métaphores ». De cette période datent aussi L'Âme noire du prieur blanc (1893), L'Épilogue des saisons humaines et surtout La Dame à la faulx (1899), drames fabuleux où les personnages semblent des symboles de chair et d'os.

De 1907 à 1940, Saint-Pol-Roux élabore, dans le silence et le secret, une œuvre demeurée inédite de son vivant, mutilée par le pillage des Allemands. Le poète en est mort, car c'est à cette œuvre qu'il tenait par-dessus tout, parlant en 1928 de la « scission » entre ses « œuvres passées » et ses « œuvres futures », écrivant par ailleurs : « Je vis dans cinquante ans. » Ce que Saint-Pol-Roux appelait ses œuvres futures, ce sont aujourd'hui Le Trésor de l'homme, deux conférences sur l'imagination, prononcées devant des étudiants, en 1925, à la demande des surréalistes, La Répoétique, grand livre où se déploie le rêve[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres classiques, chargé de cours à l'université de Nanterre, écrivain

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