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SAINT-POL-ROUX (1861-1940)

La parole contre l'écriture

La prophétie est parlée avant d'être écrite. C'est par là qu'on peut comprendre le refus de publier, après 1907 (si l'on excepte quelques textes circonstanciels et mineurs).

L'exil volontaire en Bretagne, la non-publication indiquent chez Saint-Pol-Roux le franchissement d'un seuil. Il a voulu entrer dans l'infinitude du langage, et il ne le pouvait que par l'exercice de la parole, sans commencement ni fin. Ainsi, pour cette dernière période, on ne connaît que des brouillons, ni datés ni numérotés. Pour le poète, il est clair que le livre est une prison : il « enferme » et l'encre « respire la mort ». Saint-Pol-Roux a rêvé d'un Verbe total, transcrivant pour lui-même ses paroles intérieures : notes répétitives et raturées, tissage infini. Acceptant à la rigueur, pour plus tard, d'être imprimé. Mais il a tout fait, de son vivant, pour ne pas se voir dans les miroirs de la critique, de la lecture.

Cette hypothèse du refus de l'écriture au profit de la parole formulée, les preuves de son bien-fondé viennent aussitôt se disposer autour, en étoile : Saint-Pol-Roux adorait intervenir oralement (à la radio, en plein air...) ; les seuls textes dont nous ayons une version immédiatement lisible sont ceux de conférences ; la seule œuvre achevée, la Synthèse légendaire, est orale, exécutée en plein air, en 1926, comme une œuvre musicale, par deux cent cinquante récitants.

L'invention de l'imprimerie a valeur de péché originel ; par-delà Gutenberg, il faut retrouver Orphée, le poète qui chante par opposition à celui qui écrit. Il y a là le désir d'un retour à Dieu, qui crée en parlant. Écrire sans miroir, et surtout parler sans écho, c'est donner une allure absolue à son discours. Une phrase en témoigne, que Saint-Pol-Roux avait écrite sur un mur de son manoir : « Ici, j'ai découvert la vérité du monde. » On peut dire que la certitude de Saint-Pol-Roux est fondée sur un doute à l'égard du livre. S'il participe au courant poétique allant du symbolisme au surréalisme, il participe tout autant à l'une des aventures occidentales : la mise en crise du livre, de Montaigne à Mallarmé, en passant par Joubert. Il est normal qu'en même temps il ait magnifié la réapparition de l'oral par la technique : celle du son, et celle de l'image.

Qu'Orphée ait tenu une plume entre ses mains n'est qu'une erreur de l'histoire. Et toute l'œuvre de Saint-Pol-Roux est une recherche des pouvoirs perdus du poème, ainsi que l'annonce d'un monde nouveau, proche de celui que promettaient Campanella ou Cyrano de Bergerac.

— Gérard MACÉ

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Écrit par

  • : agrégé de lettres classiques, chargé de cours à l'université de Nanterre, écrivain

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