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SAINT-SIMON CLAUDE HENRI DE ROUVROY comte de (1760-1825) ET SAINT-SIMONISME

Saint-Simon - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Saint-Simon

Né à Paris, en 1760, Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon, lointain cousin du mémorialiste Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, apparaît à la fois comme le dernier encyclopédiste du xviiie siècle et comme le premier socialiste français de l'ère industrielle. « Industriel », ce grand seigneur l'est lui-même, du moins au sens saint-simonien du mot : c'est-à-dire toujours lancé dans la vie active. Il « entreprend ». Il se ruine, s'enrichit, se ruine de nouveau, et vit enfin du mécénat de l'amitié.

Ce grand seigneur d'entreprise est aussi un grand seigneur libéral. Il fait la guerre d'indépendance américaine. Son libéralisme proclamé le place du côté des patriotes pendant la Révolution française. Il reste libéral sous l'Empire et la Restauration, mais d'un libéralisme qui, finalement, le porte à rompre avec les libéraux. Car son libéralisme est social, et l'on retrouve ici ses choix fondamentaux. Chez lui, le progressisme intellectuel conduit au progressisme politique et social. Peut-être a-t-il été tout jeune l'élève personnel du plus grand des encyclopédistes : d'Alembert. Sûrement, l'Encyclopédie le façonne, et le disciple aspire à en être le continuateur. De même que le grand monument inachevé avait donné un point d'appui central à la génération des Lumières, de même Saint-Simon vise tout d'abord à constituer une synthèse scientifique et philosophique qui puisse jouer un rôle analogue pour le nouveau siècle. Analogue, mais répondant à des problèmes qui ont changé. Il n'a plus, comme l'autre Encyclopédie, à ruiner la Genèse, mais à transformer la société fondée sur l'exploitation. Son encyclopédisme sera celui de la « science de l'homme ». Encyclopédiste, politiste, économiste, humaniste, prophète, et Messie de l'ère industrielle qui s'annonce ! Tel nous apparaît Saint-Simon, à la jonction des deux siècles. C'est un « homme-frontière ». Il se dit le témoin d'une « époque de transition ». En transition, en évolution lui-même. En évolution son libéralisme. De transition son « socialisme » – le mot n'est pas encore né. S'agit-il d'un libéralisme social ? d'un présocialisme ? On peut hésiter. Mais la Doctrine de Saint-Simon, prêchée par les saint-simoniens immédiatement après la mort du maître, fait corps avec son œuvre et s'épanouit en socialisme.

Il convient d'aborder Saint-Simon tel qu'il fut et tel qu'il va être, c'est-à-dire dans le mouvement de la pensée socialiste ; en mettant tout d'abord en relief l'apport théorique du « fondateur », jusqu'à sa mort, à Paris, en 1825 ; puis l'apport de ses disciples, parmi lesquels Bazard et Enfantin, parfois essentiel à l'histoire de la pensée économique du socialisme, et qui s'échelonne, de l'Exposition de la Doctrine à la diaspora saint-simonienne de 1832.

Un « industrialisme » progressiste

La théorie des classes sociales chez Saint-Simon met l'accent sur l'exploitation d'une immense majorité de travailleurs de toute nature par une faible minorité d'oisifs. En accord avec la masse, une élite de Lumières, à la fois intellectuelle et professionnelle, issue pour la plus grande part du monde des chefs d'entreprise, délivrera de cette exploitation la société tout entière et organisera progressivement le règne de l'abondance et du travail.

Une société dichotomique

Saint-Simon présente cette société antithé-tique, dichotomique, qui réapparaîtra dans l'analyse et la propagande socialistes des écoles ou partis du xixe siècle. Son vocabulaire – comme celui de bien d'autres théoriciens, Marx y compris – flotte d'ailleurs en matière de « classes ». On y voit figurer tour à tour, et dans des sens très voisins,[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Provence
  • : professeur honoraire à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris, directeur d'études à l'École pratique des hautes études

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Saint-Simon - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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