SAINT-SIMON CLAUDE HENRI DE ROUVROY comte de (1760-1825) ET SAINT-SIMONISME
Le socialisme des saint-simoniens (1825-1832)
Au-delà de l'industrialisme progressiste de Saint-Simon ouvrant les voies à un socialisme moderne, le socialisme des saint-simoniens ordonne l'œuvre du maître et lui apporte un certain contenu collectiviste et planificateur, tandis que la révolution de 1830 vient lui donner un nouveau souffle.
Les publications de Saint-Simon, réserve faite parfois d'un succès de scandale, n'ont eu qu'une médiocre audience. La propagande de ses disciples touche un public sensiblement élargi. Des conférences doctrinales rendent l'école plus vivante. Elles apportent leur substance à l'Exposition de la Doctrine de Saint-Simon, publiée en 1829 et 1830, qui marque une étape importante dans l'histoire de la pensée socialiste française.
Les disciples, autour desquels se groupe l'élite la plus brillante, la plus active dont se soit jamais enorgueillie une secte à ses débuts, dépassent les directions spirituelles du maître pour l'établissement d'une nouvelle religion. Elles frappent l'imagination publique sans toujours servir la cause, malgré la « pointe anticatholique de nombreux saint-simoniens ». Le couvent saint-simonien de Ménilmontant soulève l'ironie ou le scandale, avant d'être visé par les sanctions judiciaires de 1832. Les nouveautés solides et durables sont ailleurs, quoique moins ressenties par les contemporains que par les théoriciens à venir : la pensée économique et sociale de Saint-Simon, élargie et prolongée, apporte, directement ou indirectement, des thèmes essentiels à la doctrine socialiste internationale, que les xixe et xxe siècles vont élaborer.
Vers la collectivisation et la planification
À la différence de Saint-Simon, qui ne se prononce pas, au moins dans l'immédiat, contre l'appropriation privée des moyens de production, les saint-simoniens mettent en cause cette appropriation : l'Exposition se présente comme une critique de la propriété privée des capitaux productifs. Une telle appropriation est condamnable du point de vue de la justice : elle permet de « lever une prime sur le travail d'autrui ». Elle est également condamnable du point de vue économique, du point de vue de la production : consacrant déjà « l'exploitation de l'homme par l'homme », elle engendre de surcroît l'anarchie économique, et témoigne d'une mauvaise gestion générale. Car les capitaux productifs sont mis, par le hasard de la naissance, par l'héritage, entre les mains de n'importe quel individu, apte ou non à en faire bon usage. Qu'on juge d'ailleurs à l'œuvre les propriétaires de capitaux : les crises industrielles montrent bien la malfaisance du système. Il manque à la société « une vue générale des besoins de la consommation » et « des ressources de la production ».
La solution de tous ces problèmes pourrait consister en de grandes réformes de structure. Les saint-simoniens acceptent « que tous les instruments de travail, les terres et les capitaux, qui forment aujourd'hui le fonds morcelé des propriétés particulières, soient réunis en un fonds social, et que ce fonds soit exploité par association et hiérarchiquement ». La tâche de chacun correspondrait à sa capacité et son gain à ses œuvres. Le fonds social serait constitué à partir des sommes dégagées par la suppression de l' héritage. L'État, seul héritier, distribuerait les instruments de travail que sont la terre et les capitaux, au mieux des intérêts de la production. Et la production serait elle-même dirigée par un « système général de banques ». Une banque nationale distribuerait par l'intermédiaire de banques régionales, locales ou corporatives, les capitaux à investir. Elle donnerait ainsi l'impulsion, en les coordonnant, à toutes les activités économiques de la nation. Alors prendraient fin l'exploitation et le désordre.[...]
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Écrit par
- Pierre GUIRAL : professeur à l'université de Provence
- Ernest LABROUSSE : professeur honoraire à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris, directeur d'études à l'École pratique des hautes études
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Média
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