SAINT-SIMON CLAUDE HENRI DE ROUVROY comte de (1760-1825) ET SAINT-SIMONISME
Le saint-simonisme
Le saint-simonisme est un mouvement de pensée et d'action qui répand et enrichit la doctrine de Saint-Simon. Mouvement socialiste : les contemporains l'ont jugé tel ; le gouvernement de Louis-Philippe l'a poursuivi ; effectivement il met en cause la répartition et la transmission des richesses, l'héritage et la propriété ; il propose une nouvelle équipe de gouvernement et une nouvelle religion. Toutefois le saint-simonisme n'est pas un socialisme égalitaire : il modifie les hiérarchies, les fonde sur d'autres critères, mais se garde de les abolir. Très vite il s'adapte au siècle, il s'assagit et rejette ou met en sommeil les plus audacieuses de ses conceptions politiques et religieuses ; les saint-simoniens jouent un rôle dans l'économie et le journalisme ; le mouvement perd de sa cohésion et de sa hardiesse initiale, mais conserve une efficacité certaine. Mieux : de bons esprits sont persuadés que dans le monde occidental actuel, dans la société de consommation, les idées saint-simoniennes restent les plus fécondes des conceptions apparues dans la première moitié du xixe siècle.
L'enrichissement de la doctrine et les débuts de la secte
Lorsque meurt le comte de Saint-Simon en 1825, sa doctrine n'a touché qu'un petit nombre de disciples, souvent d'origine juive (Olinde Rodrigues, Léon Halévy). Entre 1825 et 1830, elle gagne des recrues d'élite notamment parmi les élèves de l'École polytechnique, trait relevé par Balzac dans Le Curé de village. Les plus remarquables de ces disciples sont Prosper Enfantin, esprit d'envergure, servi par un véritable magnétisme, Saint-Amand Bazard, moins doué, mais plus sûr. Charles Duveyrier, le remarquable ingénieur des mines H. Fournel, Michel Chevalier, les frères Talabot, J. Terson, Émile Barrault, un des rares saint-simoniens homme de lettres, Édouard Charton, Gustave d'Eichthal. Beaucoup sont d'anciens libéraux, tel Bazard qui avait été un des fondateurs de la charbonnerie française, et qui estimèrent que la liberté ne saurait suffire à fonder un ordre plus juste.
Au fur et à mesure que l'équipe s'accroît, la pensée présentée dans le journal Le Producteur et dans l'Exposition se précise. À l'anarchie du monde économique, il faut substituer l' organisation, mot révélateur de l'idéal saint-simonien et désormais mot clé du socialisme. « Organisation » signifie non pas « restriction », mais « développement de la production ». Le xixe siècle doit utiliser toutes les possibilités qui lui sont offertes, construire les chemins de fer, faire des banques les organismes modernes de crédit dont le monde a besoin. Cette transformation de l'économie ira de pair avec celle de la société, une société sans oisifs où chacun sera classé suivant sa capacité et rétribué selon ses œuvres. L'éducation cessera d'être archaïque (les saint-simoniens sont hostiles au latin), critique, anarchique (elle ne lie pas, pour l'heure, les individus). Elle jouera, cependant, comme élément de cohésion sociale, un rôle moindre que la nouvelle religion, le « nouveau christianisme » : les religions traditionnelles, en effet, ont fait faillite, aussi bien le catholicisme rétrograde que le protestantisme, trop individualiste qui a dépouillé le culte de son mystère. Ainsi le saint-simonisme offre-t-il un modèle de société conforme à l'âge industriel, société fondée sur la compétence et l'efficacité : les guerres disparaîtront ; l'association assurera partout la paix.
L'établissement d'une stricte hiérarchie permettra de parvenir à cet idéal planétaire, et c'est peut-être cet aspect autoritaire de l'organisation qui a séduit nombre d'officiers. Dès avant 1830, le saint-simonisme devient une église hiérarchisée. Le jour de Noël[...]
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Écrit par
- Pierre GUIRAL : professeur à l'université de Provence
- Ernest LABROUSSE : professeur honoraire à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris, directeur d'études à l'École pratique des hautes études
Classification
Média
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