ŚĀKTI
Dans la religion de l' Inde, la puissance cosmique mère de toute production, appelée en sanskrit Śākti (« énergie »), est l'objet d'un culte particulier, dont les fidèles sont les śākta et qu'on désigne du nom de shaktisme.
L'Énergie
La śākti est décrite dans les textes shivaïtes comme l'énergie de l'Être suprême, Śiva, dont l'essence se confond avec l'existence pure, universelle, infinie et de nature spirituelle, distincte des existences particulières, à formes spécifiques et par là limitées. Cette entité fondamentale indifférenciée et impassible a pour contrepartie l'ensemble des activités de la nature et des êtres individuels, qui sont distincts de Śiva et coéternels à lui. Śiva, ou mieux Paramaśiva, le Śiva suprême, ensemble de toute existence, contient en lui-même l'ensemble de toutes les activités, la Śākti suprême, Parāśakti. Paramaśiva et Parāśakti ne font qu'un sur le plan de l'ontologie pure. Mais, sur le plan cosmique empiriquement manifeste, Śiva et la Śākti forment comme les deux éléments d'un couple qui, sous son aspect personnel, représente le Grand Seigneur (Maheśvara) et la Déesse ( Devī).
Les formes sous lesquelles Śiva, animé par la Śākti, se manifeste dans le monde pour le salut des êtres individuels sont multiples, décrites et classées dans les Āgama ou Tantra shivaïtes et dans les textes doctrinaux et rituels afférents, qui décrivent conjointement les manifestations de la Śākti. Les śākta sont ceux qui, dans la pratique religieuse et la dévotion, adoptent la Śākti comme leur divinité de prédilection (iṣṭadevatā).
Dans la classification doctrinale des Āgama, la Śākti est considérée comme se présentant sous plusieurs formes distinguées d'après leurs fonctions. Ce sont d'abord la Parāśakti, déjà mentionnée, non distinguée de Śiva, l'Ādiśakti, « énergie première », encore indifférenciée ou Cicśakti, « énergie de pensée ». Puis trois formes spécialisées : Icchāśakti, « énergie d'impulsion », par laquelle Śiva est ému de compassion pour les êtres ; Jñānaśakti, « énergie de connaissance », ou Sakṣācśakti, « énergie de vision directe », et Kriyāśakti, « énergie d'action », par lesquelles Śiva connaît et agit dans le monde. Mais il est d'autres modes spécialisés d'énergies de Śiva, tels que la Tirobhāvaśakti, par laquelle Śiva est dérobé à la connaissance de l'individu ordinaire, et l'Anugrahaśakti, par laquelle Śiva accorde sa grâce.
Pour les śakta, l'énergie mère de toutes choses l'emporte sur Śiva qui, sans elle, est une entité inerte. Dans le domaine naturel, c'est elle qu'ils reconnaissent comme l'objet par excellence de l'adoration. Ils s'attachent particulièrement à la doctrine – qui d'ailleurs n'appartient pas qu'à eux – selon laquelle deux réalités existant indépendamment de Śiva, le Bindu et la Māyā, font l'upādāna, c'est-à-dire assument la manifestation des mondes, respectivement pur pour le Bindu, et impur pour la Māyā ou « illusion ». Mus par la Śākti de Śiva ou confondus avec elle dans de multiples variantes de théories, ils sont conçus sous une forme concrète, quoique idéale, dans l'organisme humain, microcosme qui fait pendant au macrocosme de l'univers. Dans une des formes les plus courantes de la théorie, une śakti, dite Kuṇḍalinī, l'« Annulaire », c'est-à-dire celle qui est lovée en rond comme un serpent endormi, se trouve dans un carrefour de souffles vitaux siégeant à la base du tronc et peut être éveillée pour monter par un canal central qui l'amène successivement aux carrefours de souffles vitaux des autres étages du corps – ces carrefours sont appelés « cercles » ([...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean FILLIOZAT : membre de l'Institut, professeur honoraire au Collège de France
Classification
Autres références
-
BOUDDHISME (Les grandes traditions) - Bouddhisme indien
- Écrit par Jean FILLIOZAT et Pierre-Sylvain FILLIOZAT
- 10 641 mots
- 1 média
...Les tantra font une répartition plus systématique du rôle cosmique des Buddha et des Bodhisattva du Mahāyāna et leur adjoignent des énergies féminines ( śakti) qui représentent leur activité dans le monde. Au-dessus des Buddha prenant des apparences humaines est constitué un groupe de cinq Buddha appelés... -
HINDOUISME
- Écrit par Anne-Marie ESNOUL
- 9 148 mots
- 4 médias
...cosmique, on voit à travers les siècles s'affirmer une tendance commune à toute l'Inde, mais de nature essentiellement shivaïte, le shaktisme. Il s'agit de groupes qui révèrent le pouvoir créateur du dieu sous l'aspect féminin qui lui est coexistant, sa śakti, personnification de son énergie potentielle. -
INDE (Arts et culture) - Les doctrines philosophiques et religieuses
- Écrit par Jean FILLIOZAT
- 16 660 mots
- 3 médias
...essence esprit, éternel, infini, « sans parties » (niṣkala), c'est-à-dire qu'il échappe à toute limitation et détermination. Son énergie ( śakti) lui est inhérente. Il a trois états (avasthā) ; dans le premier, état de « dissolution » (laya), il n'y a que lui, en qui toutes choses... -
INDE (Arts et culture) - L'art
- Écrit par Raïssa BRÉGEAT , Marie-Thérèse de MALLMANN et Rita RÉGNIER
- 49 040 mots
- 67 médias
L'épouse de Śiva ou son énergie cosmique personnifiée (Śakti) a aussi des aspects multiples, sereins (Pārvatī, Fille de la montagne ; Gaurī, Claire ; Umā, Favorable) ou farouches ( Durgā, Inaccessible ; Kālī, Noire, ou Temps féminisé). Les formes sereines tiennent un rosaire, une fleur de nelumbium... - Afficher les 11 références