ŚAKUNTALĀ
Le théâtre indien de langue sanskrite connut son âge d'or au temps des souverains gupta, qui régnaient sur l'Inde du Nord-Ouest entre 300 et 550. C'est justement au ive siècle que se manifeste, selon la plus sûre probabilité, le génie de Kālidāsa, dont les poèmes et les drames sont les meilleurs exemples. Śakuntalā (Shakuntalâ, nom de l'héroïne) est l'exemple achevé de ce que doit être une pièce de théâtre selon les règles du Nâtya Shâstra (nāṭyaśāstra, traité normatif d'art dramatique du iie siècle environ) : l'action doit en être suffisamment pathétique pour émouvoir les spectateurs mais elle doit se clore de façon heureuse ; le surnaturel doit s'y manifester mais sans porter préjudice au naturel des situations, de la même façon que doivent apparaître sur la scène à la fois le monde de la cour et celui de la rue. Tels sont précisément le style et la tonalité du Śakuntalā, où l'on pleure et rit tour à tour, où les scènes se situent tantôt au Ciel et tantôt sur la Terre, où le roi, ses ministres, des mendiants, des marchands, des moines se coudoient et agissent de concert. L'intrigue brasse magistralement tous ces éléments et les organise de telle façon qu'ils sont étroitement solidaires les uns des autres. Ainsi, Śakuntalā est une bâtarde, née des amours illégitimes d'un sage et d'une nymphe ; élevée dans un refuge forestier (āśram), elle rencontre par hasard le roi venu chasser dans les alentours ; séduite par son prestige, elle se donne à lui et le souverain promet de revenir la chercher pour en faire son épouse : en gage de loyauté, il lui donne son anneau ; cependant, Śakuntalā, qui avait manqué au devoir d'hospitalité à l'égard d'un religieux errant, se voit maudite par lui : le roi l'oubliera, à moins qu'elle ne puisse lui montrer son anneau ; mais Śakuntalā perd la bague et, quand elle se rend, enceinte, au palais, elle en est ignominieusement chassée ; un fils lui naît et elle se résigne à l'indignité de sa situation, se réfugiant auprès des nymphes, amies de sa mère ; le roi, cependant, retrouve par hasard l'anneau, se souvient de Śakuntalā et, désespéré, la recherche partout ; il la retrouve finalement et l'épouse. Ainsi le drame cruel de la pauvre fille séduite et abandonnée par un grand de ce monde se trouve-t-il transformé grâce aux références au surnaturel : le prétendu hasard qui préside aux péripéties n'est en fait que le Destin, plus puissant que les dieux eux-mêmes (par exemple, l'anneau est trouvé par un pêcheur dans le ventre d'un poisson, exactement comme le mythe grec de l'anneau de Polycrate) ; il n'y a donc pas d'inconvénient à ce que le poète mette en scène à la fois des nymphes et des hommes : tous sont régis par les mêmes lois et éprouvent des sentiments similaires ; les ascètes eux-mêmes, malgré les vœux qu'ils ont prononcés ne sont pas différents, puisqu'ils connaissent l'amour (c'est le cas de Viśvāmitra, père de Śakuntalā) et la haine (tel le religieux errant qui maudit l'héroïne pour une faute involontaire). Les romantiques ne s'y sont pas trompés qui, ayant découvert la pièce en 1789 (la première traduction en langue européenne est due à William Jones), ne cessèrent d'en chanter les louanges, assimilant Kālidāsa à Shakespeare (celui du Songe d'une nuit d'été). Lamartine écrivait, par exemple, que Śakuntalā était un « chef-d'œuvre de poésie [...] où se réunit en une seule action ce qu'il y a de plus pastoral dans la Bible, de plus pathétique dans Eschyle, de plus tendre dans Racine ».
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Écrit par
- Jean VARENNE : docteur ès lettres, professeur à l'université de Lyon-III
Classification
Autres références
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KĀLIDĀSA (IVe-Ve s. env.)
- Écrit par Pierre-Sylvain FILLIOZAT
- 1 708 mots
Le sujet de Śakuntalā est tiré du Mahābhārata. On comprend tout le prix de l'art de Kālidāsa quand on voit avec quel bonheur il a transformé la légende pour la rendre plus propre à la scène et plus émouvante. Le roi Duṣyanta est entraîné, au cours d'une chasse, auprès de l'ermitage forestier de...