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SALAFISME

La genèse des salafismes contemporains

L’ histoire de l’islam a été ponctuée de mouvements qui entendaient réformer et réunifier l’islam en luttant contre les « innovations blâmables » (bid‘a) et en revenant aux fondements scripturaires de la religion. Certains auteurs rattachent ainsi le salafisme au hanbalisme, école juridique musulmane apparue au ixe siècle. Toutefois, les salafismes modernes naissent dans un contexte bien particulier, celui de la colonisation européenne et des tentatives de réaction qu’elle suscita dans certains pays musulmans.

L’une des difficultés qu’il y a à appréhender le salafisme réside dans la diversité de ses courants nourriciers. Les premiers penseurs qui l’ont inspiré, parmi lesquels se détachent les noms de Djamāl al-Dīn al-Afghānī (1838-1897) et de Muḥammad ‘Abduh (1849-1905), n’ont pas grand-chose à voir avec Sayyid Quṭb (1906-1966), le théoricien des Frères musulmans, et encore moins avec les leaders des mouvements armés actuels. Très instruits, ils concevaient le ressourcement de l’islam par la relecture des textes fondateurs non comme une imitation aveugle, mais comme une sorte de renaissance culturelle et spirituelle qui pourrait procurer aux musulmans les moyens intellectuels de s’émanciper de la tutelle coloniale et de réaliser leur unité. Leur mouvement, résolument cosmopolite et panislamiste, transcendait les clivages religieux habituels (Al-Afghānī est d’ailleurs chiite) et tentait de concilier modernité et retour aux sources en laissant une porte ouverte à la liberté d’interprétation, l’ijtihād.

Sayyid Qutb - crédits : AFP

Sayyid Qutb

Une seconde étape dans la constitution du salafisme fut franchie dans l’entre-deux-guerres et dans les années 1960. La formation en Égypte de la confrérie des Frères musulmans par Hassan al-Banna (1906-1949), en 1928, contribua à populariser les mots d’ordre du salafisme sur la scène publique grâce à la prédication, à l’action politique et à la création d’un réseau d’associations charitables, d’hôpitaux, d’écoles et de mosquées qui ont implanté durablement le mouvement dans la société égyptienne. L’exécution d’Hassan al-Banna par le roi Farouk a fait de lui une icône de la lutte contre un régime discrédité et son puissant protecteur, la Grande-Bretagne. De nouveau autorisés en 1951, les Frères musulmans ne tardèrent pas à engager une sourde lutte contre le nouvel homme fort de l’Égypte, Gamal Abdel Nasser, qu’ils tentèrent de renverser à plusieurs reprises. La doctrine du mouvement se structura alors sous l’influence de Sayyid Quṭb, qui opposa au socialisme laïcisant de Nasser, à son panarabisme tiers-mondiste et à son programme de développement inspiré du modèle occidental, sa notion de « socialisme islamique » et ses diatribes contre la culture « athée » et l’occidentalisation des mœurs. Un complot contre le Président servit cependant à celui-ci de prétexte pour déclencher une vague de répression sans précédent en 1965. Sayyid Quṭb fut alors pendu et la confrérie temporairement décapitée en Égypte. Elle ressurgit cependant dans les années 1970 et déclara vouloir abandonner la violence en 1978. De nouveaux groupes, adeptes de l’action terroriste, apparurent alors, qui furent à l’origine de l’assassinat d’Anouar al-Sadate en 1981. Les années 1980-1990 virent se renforcer le réseau international des Frères musulmans, dans le monde arabe (en Palestine, le Hamas, créé en 1987, leur est rattaché) et en Europe. Soucieux de se construire une image d’honorabilité, les Frères se déclarèrent prêts à participer à des élections démocratiques. Forts de leur popularité, ils remportèrent même les élections législatives en juin 2012, un an après le renversement de Hosni Moubarak par la révolution. La présidence de Mohamed Morsi ne tarda cependant pas à réveiller les clivages et à susciter l’inquiétude[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire des mondes musulmans médiévaux à l'université de Lyon-II-Louis-Lumière

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Médias

Manifestants salafistes en Jordanie - crédits : Jamal Nasrallah/ EPA

Manifestants salafistes en Jordanie

Destruction du tombeau du prophète Jonas à Mossoul par l’État islamique - crédits : STR/ EPA

Destruction du tombeau du prophète Jonas à Mossoul par l’État islamique

Sayyid Qutb - crédits : AFP

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