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SALAMMBÔ, Gustave Flaubert Fiche de lecture

« Couleur de sang »

C'est pour éviter la monotonie qu'il s'adonne à une surenchère dans l'horreur. Œuvre de fureur, de sueur et de sang, Salammbô est une extraordinaire anthologie d'atrocités dont la rédaction mettait Flaubert en joie et le sortait de l'accablement que lui causait la difficulté d'écrire l'ouvrage. Il écrit ainsi dans la Correspondance : « D'un bout à l'autre, c'est couleur de sang. Il y a des bordels d'hommes, des anthropophagies, des éléphants et des supplices. » Ou encore : « On commence à marcher dans les tripes et à brûler les moutards. »

Cette recherche du paroxysme, où on a cru déceler la manifestation des pulsions sadiques de l'auteur, a évidemment pour but de rendre sensible la violence d'une époque. Mais elle change aussi la nature même de l'ouvrage. De pure narration historique, celui-ci atteint à la dimension d'un poème épique, au travers de personnages choisis pour leur monstruosité, tel le suffète Hannon, ou de scènes aux allures d'Apocalypse, comme le siège de Carthage, le sacrifice des enfants au dieu Moloch, ou l'extermination des derniers mercenaires : « Les éléphants entrèrent dans cette masse d'hommes ; et les éperons de leur poitrail la divisaient, les lances de leurs défenses la retournaient comme des socs de charrues ; ils coupaient, taillaient, hachaient avec les faux de leurs trompes ; les tours, pleines de phalariques, semblaient des volcans en marche ; on ne distinguait qu'un large amas où les chairs humaines faisaient des taches blanches, les morceaux d'airain des plaques grises, le sang des fusées rouges ; les horribles animaux, passant au milieu de tout cela, creusaient des sillons noirs. »

Il faut voir là surtout l'investissement total de l'auteur dans une œuvre qui l'occupa de 1857 à 1862 lui servant de refuge et de compensation : « Peu de gens devineront combien il a fallu être triste pour entreprendre de ressusciter Carthage ». À bien des égards, Salammbô est une œuvre singulière. Exercice de style, fantaisie scientifique, elle constitue une sorte d'essai sur la puissance d'évocation de la littérature et ses limites que Flaubert, refusant à cet égard que son livre soit accompagné d'illustrations qui auraient bridé l'imagination du lecteur, estimait n'avoir pas réussi : « Celui-là ne sera pas un bon livre. Qu'importe, s'il fait rêver à de grandes choses ! »

— Philippe DULAC

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

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