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SALARIAT

L'âge d'or du salariat

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la donne, une nouvelle fois, a changé. Les idées de Keynes tiennent le haut du pavé : le capitalisme a besoin, pour fonctionner, d'une demande forte et régulière, ce qui implique une intervention de l'État. En matière salariale, cela se traduit par une double mutation. D'abord, l'instauration de mécanismes de protection sociale qui aboutissent à la mise en place, en sus des salaires directs, d'une sécurité sociale financée, selon les pays, soit par l'impôt, soit par les entreprises et leurs salariés (cotisations sociales). Dans le premier cas (financement par l'impôt), ces prestations sociales sont ouvertes à tous : c'est le « modèle beveridgien », du nom du ministre britannique William Henry Beveridge qui en a proposé le principe dans un « Rapport » de 1942. Dans le deuxième cas (financement par des cotisations sociales assises sur les revenus du travail), ces prestations sociales sont généralement réservées aux travailleurs qui les financent et à leur famille (« modèle bismarckien », du nom du chancelier allemand qui en fut à l'origine dans les années 1870).

Ensuite, une sorte de norme salariale minimale est fixée, par la loi (c'est le salaire minimum), par le contrat (généralisation des conventions collectives, incitation à la recherche d'accords interprofessionnels, comme ceux qui concernent l'indemnisation du chômage par exemple) ou par la stimulation (rôle pilote des entreprises publiques). Le « modèle fordiste », comme on appelle cette forme de régulation salariale concrétisée par des accords légaux (s'appliquant à tous) ou conventionnels (s'appliquant aux seuls signataires), triomphe désormais. L'ensemble de ces règles, dont une partie transite par des mécanismes de marché et une autre partie par la contrainte légale, aboutit à ce que, dans l'ensemble, la masse salariale évolue à peu près au rythme des gains de productivité. La demande progresse donc à l'allure du changement technique, et le pouvoir d'achat des salariés s'élève sensiblement. Contrairement à ce qui s'était passé durant l'avant-guerre, l'offre n'est donc plus bornée par les débouchés, mais seulement par le rythme du changement technique.

On peut qualifier cette période – 1950-1975 – d'âge d'or du salariat. Certes, cela ne va pas sans quelques inconvénients. En particulier, si les branches à forts gains de productivité peuvent se permettre d'augmenter sensiblement les salaires (et les avantages sociaux) de leur personnel, il n'en va pas de même pour les branches à faibles gains de productivité (la fonction publique, les services marchands aux personnes, etc.). On pourrait, bien sûr, jouer le jeu du marché et accepter des dynamiques salariales très différentes selon les branches, ce qui constituerait aussi une façon d'attirer vers les branches dynamiques une partie de la population active ; mais cela ne se ferait pas sans fortes tensions sociales. Aussi, avec le consentement plus ou moins implicite de l'ensemble des forces économiques, c'est l'alignement vers le haut qui prévaut : les branches à faibles gains de productivité augmentent les salaires autant que les autres, et se rattrapent sur les prix (ou sur les impôts, quand il s'agit de services financés par la fiscalité). L'inflation joue le rôle de régulateur et assure une certaine homogénéité dans la dynamique salariale. La cohésion sociale est ménagée par la soupape de sécurité qu'est la hausse des prix.

La société salariale paraît triompher. Alors que, dans l'histoire sociale, être salarié fut longtemps synonyme d'un statut dégradé, 'ce statut est progressivement devenu, au cours du xxe siècle, une sorte d'émancipation sociale[...]

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Écrit par

  • : conseiller de la rédaction du journal Alternatives économiques

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Médias

Usine Ford - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Usine Ford

États-Unis : la prospérité, 1920-1929 - crédits : The Image Bank

États-Unis : la prospérité, 1920-1929

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