SALARIAT
Fissures, fractures et dispersion
Même parcourue de tensions, de conflits et d'inégalités fortes, la société salariale était ainsi une réalité porteuse d'espoirs de changements positifs pour la grande majorité. Ce n'est plus le cas aujourd'hui : la société salariale est en pleine crise. Il s'agit non seulement d'une crise économique, mais aussi d'une crise d'identité, d'une crise morale pourrait-on dire. Le salariat lui-même se transforme, tendant notamment à devenir de plus en plus hétérogène, à l'image de la société tout entière.
Un monde de plus en plus diversifié
Longtemps, le salariat a été essentiellement composé de classes populaires, ouvriers et employés. En 1954 encore, alors qu'on comptabilisait en France 12,9 millions de salariés sur une population de 19,5 millions de personnes en emploi, le nombre des ouvriers (y compris salariés agricoles) et employés (y compris les personnels de service) s'élevait à 10,7 millions, soit 83 p. 100. Être salarié, c'était alors essentiellement occuper une position subalterne. Désormais, le décor a beaucoup changé : le salariat populaire ne représente plus qu'une grosse moitié du salariat (55 p. 100, soit 12,5 millions sur 23 millions). En revanche, les cadres sont passés de 1,6 million à 4 millions, et une nouvelle catégorie socioprofessionnelle, créée en 1982 pour rendre compte de la part croissante des salariés qui se situaient entre les classes populaires et les cadres, les « professions intermédiaires » (infirmières, instituteurs, contremaîtres, métreurs...), en regroupe désormais 6,2 millions alors qu'en 1954 ceux et celles qui exerçaient ce type de profession étaient, selon les cas, classés avec les cadres ou avec les employés.
L'autre grande transformation du salariat est sa féminisation. En 1954, on comptait en France 4 millions de femmes salariées (sur 12,9 millions de salariés, soit 31 p. 100). Dans les années 2010, chez les salariés, on compte presque autant de femmes (11,4 millions) que d'hommes (11,6 millions). Mais, bien qu'elles disposent en moyenne de davantage d'années de formation que les hommes (et sont plus diplômées), leur rémunération demeure nettement moindre, d'abord parce qu'elles travaillent plus fréquemment à temps partiel (31 p. 100, contre 7 p. 100 pour les hommes), ensuite parce qu'elles se heurtent au « plafond de verre » et occupent beaucoup moins fréquemment les niveaux hiérarchiques les plus hauts et, donc, les mieux rémunérés.
Cette diversification du salariat se traduit notamment en termes de revenus professionnels. En bas de la hiérarchie salariale se trouvent les « travailleurs pauvres » et les « bas salaires », deux catégories qui, bien que proches, ne doivent pas être confondues. La notion de travailleur pauvre concerne l'ensemble des personnes en emploi dont le revenu d'activité ne permet pas à leur ménage de disposer d'un niveau de vie supérieur au seuil de pauvreté. Être travailleur pauvre ne dépend donc pas que du revenu d'activité perçu, mais aussi du nombre de personnes dont se compose le ménage et des revenus de ces personnes. En 2010, environ 1,5 million de salariés (environ 6,5 p. 100 des salariés) étaient dans cette situation, en majorité des femmes, car elles occupent davantage que les hommes des emplois à temps partiel (qui se déclinent d'ailleurs souvent au féminin : serveuse, femme de chambre, femme de ménage, caissière) et sont plus souvent que les hommes responsables d'une famille monoparentale, c'est-à-dire d'une famille dans laquelle un seul adulte doit assumer la charge des enfants. Les « bas salaires », en revanche, désignent les salaires nets inférieurs à deux tiers du salaire médian (le niveau de salaire tel qu'une moitié des salariés gagnent davantage et l'autre moitié gagnent moins), soit à peine plus que le S.M.IC.[...]
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Écrit par
- Denis CLERC
: conseiller de la rédaction du journal
Alternatives économiques
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