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RUSHDIE SALMAN (1947- )

Le roman face au religieux

The Satanic Verses (1988, Les Versets sataniques), qui ont valu à Rushdie d'être l'objet de la part de l'imam Khomeyni d'une fatwa qui met sa vie en péril, ne sont pas un ouvrage blasphématoire. Divisé en plusieurs sections quasi autonomes, ce roman traite de l'atterrissage en douceur de Gibreel Farishta, star du cinéma de Bombay, et de Saladdin Chamcha, acteur raté reconverti dans le doublage, tous deux miraculeusement réchappés de l'explosion d'un Jumbo Jet en plein vol au-dessus de la côte anglaise. Descendant vers le sol sur une sorte de tapis volant, ils connaissent les affres de la condition d'immigré : Rushdie, qui adore donner chair aux métaphores, met en scène ces malheureux clandestins qui sentent littéralement pousser des cornes sur leur front tandis qu'ils sont chargés de force, tel du bétail, dans un panier à salade.

Le roman évoque aussi la naissance de l'Islam et, plus près de nous, un pèlerinage vers La Mecque organisé par une prophétesse indienne visionnaire qui, entraînant une foule derrière elle, prédit que les eaux de la mer d'Arabie s'écarteront pour la laisser passer. Expérience narrative à la Faulkner où voisinent des intrigues apparemment différentes, ce livre aborde la question de la foi et du doute. En soumettant le Coran à une exégèse romanesque, Rushdie rappelle les contingences qui président à la transmission de toute parole religieuse révélée. Le livre saint n'en est pas moins un texte soumis comme les autres aux lois de l'énonciation. Le roman retrace aussi les retrouvailles émouvantes entre un père mourant et son fils jadis révolté.

Paradoxalement, en Grande-Bretagne, ce sont les communautés d'origine pakistanaise, dont le roman tente d'expliquer le désarroi, qui ont organisé un autodafé. On brûle ou on condamne d'autant plus volontiers ce que l'on refuse de lire. Et ce sont d'autres non-lecteurs qui ont crié au scandale, incapables qu'ils sont de différencier fiction et pamphlet. En une scène prémonitoire, à la fin des Enfants de minuit, Rushdie imagine la foule innombrable de ses personnages qui sortent du roman et piétinent leur créateur. Toute la haine déchaînée par Les Versets sataniques pose aussi la question des limites de la liberté romanesque lorsque l'auteur, venu d'un Tiers Monde déprécié à ses propres yeux, pose sur lui un regard ironique à l'occidentale. La fiction peut-elle éviter d'être balayée par la réalité lorsque cette dernière devient trop intolérable ?

Depuis son refuge secret, Rushdie a publié Haroun and the Sea of Stories (1990, Haroun et la mer des histoires), en apparence un conte fantastique pour enfants, en réalité une allégorie élaborée de la lutte entre liberté et obscurantisme. À travers le protagoniste, on découvre en filigrane la menace qui pèse sur le créateur lorsque sa sécurité affective est menacée. L'histoire débute avec le Génie de l'eau venu démonter le « robinet à histoires » installé dans la salle de bains du héros. La suite découle de la même logique dont relève Alice au pays des merveilles ou Le Magicien d'Oz. Magie et langage ne font qu'un dans un récit qui réaffirme le pouvoir inégalé du verbe et de l'imaginaire.

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