SALONS, histoire de l'art
L'Académie et ses procès
« Crispée dans le respect et la défense de la tradition, méprisant tout ce qui ne répondait pas aux canons de la grande peinture, l'Académie a laissé progresser en dehors d'elle un réseau commercial animé par les marchands et un moyen d'information, la critique d'art » (Raymonde Moulin). L'analyse est juste, mais le phénomène, patent depuis l'entrée en scène des impressionnistes, ne doit pas faire oublier que les Salons ont connu pendant près d'un siècle, approximativement de 1750 à 1850, et surtout de la Restauration à la Troisième République, un véritable âge d'or. L'importance des Salons, qui cristallisent l'intérêt de l'opinion et attirent le public (500 000 entrées en 1876, 50 000 visiteurs certains dimanches), est difficile à imaginer. Certes le jeu des récompenses, mentions, médailles, décorations qui marquent tout au cours des Salons une carrière réussie, explique la place que les artistes lui accordent. Le tableau du Salon est la grande affaire, à lire Balzac et Zola, de la vie du peintre – et son meilleur revenu. « Il y a dans Paris à peine quinze amateurs capables d'aimer un peintre sans le Salon. Il y en a quatre-vingt mille qui n'achèteront même pas un nez si un peintre n'est pas au Salon. Voilà pourquoi j'envoie tous les ans deux portraits, si peu que ce soit. Mon envoi est tout commercial », écrit Renoir en 1881. Que l'artiste soit ou non accepté, que son tableau soit bien ou mal placé, et il connaît succès ou oubli.
On comprend ainsi l'attention accordée à la composition du jury qui incarne la double contrainte de l'État et de l'Académie. L'exigence de liberté s'accroît, mais l'expérience de 1848 en a montré les difficultés, et tous les efforts de libéralisation confirment paradoxalement le rôle de l'Académie : en 1852, la moitié des membres, en 1864, neuf sur douze, sont élus par les artistes, mais par les seuls médaillés, et parmi les académiciens en majorité ; en 1875, les médaillés et les prix de Rome désignent quarante-cinq artistes parmi lesquels on tire au sort les quinze membres du jury, jusqu'à la réforme de 1880 qui met en place, par le libre choix des artistes, un bureau composé, avec Bouguereau et le sculpteur Guillaume, de seuls membres de l'Institut. Faut-il s'en étonner ? La pression de l'Académie des beaux-arts était trop forte et la rupture décisive de celle-ci avec le mouvement des arts ne date pas du romantisme ou du réalisme, mais bien de l'impressionnisme, encore que de Carolus-Duran à Manet la distance soit plus courte qu'il ne paraît et que la récupération avec les postimpressionnistes ait été rapide. Les exclusions, les injustices (Corot, médaille de 2e classe en 1833, attend quinze ans pour recevoir celle de 1re classe, est battu par Cabanel pour la médaille d'honneur en 1865, et échoue encore en 1875 ; Meissonier en trois ans seulement, de 1840 à 1843, gagne les trois médailles) ne suffisent pas à déconsidérer les Salons. Après tout, c'est dans leurs enceintes que les grandes batailles se sont livrées et ont été gagnées ; le Salon de 1824, avec la présence du Massacre de Scio de Delacroix, de la Locuste de Sigalon, du Gaston de Foix de Scheffer, du Massacre des innocents de Champmartin, face au Vœu de Louis XIII d'Ingres, en donne un célèbre exemple, comme celui de 1851 avec l'Enterrement à Ornans. Ce sont les Salons qui ont fait du reste la fortune de Courbet, même s'il les a reniés, suivant en cela l'exemple altier d'Ingres. Le scandale d'Olympia a été au moins permis par le Salon.
L'instrument de cette popularité est sans doute la critique, puisque très vite son principal exercice se confond avec le compte rendu, dans une abondance de feuilles que l'historien[...]
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Écrit par
- Bruno FOUCART : professeur à l'université de Paris-Sorbonne
Classification
Médias
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