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SALONS LITTÉRAIRES

Plus encore qu'une réalité historique, le salon littéraire est une invention historiographique. L'expression désigne habituellement une maison où l'on reçoit régulièrement, notamment des écrivains, pour converser mais aussi pour se livrer à toutes sortes d'activités et de jeux littéraires. Or, les plus célèbres de ces salons, ceux de la marquise de Rambouillet, de Madame Geoffrin ou de Mademoiselle de Lespinasse, ouvrent leurs portes aux xviie et xviiie siècles, à une époque où le mot « salon » ne désigne encore qu'une pièce de réception. La marquise de Rambouillet et Mademoiselle de Scudéry reçoivent d'ailleurs dans une chambre et non dans un salon. Ce n'est qu'au xixe siècle que l'on se met à parler des « salons » pour désigner une forme particulière de sociabilité. Quant à l'expression « salon littéraire », elle est encore plus tardive puisqu'elle ne s'impose qu'au xxe siècle, d'abord chez les historiens de la littérature, et suggère une interprétation erronée : l'idée reçue selon laquelle l'objet ou la nature propre de cette sociabilité serait foncièrement littéraire.

Pour comprendre ce que sont les salons, il faut en effet se déprendre de l'idée que la littérature est leur finalité, ou même leur occupation principale, et les replacer dans le contexte plus large de la vie sociale des élites, fondée sur l'hospitalité. Par rapport à d'autres formes de sociabilité, les salons présentent la particularité d'être intrinsèquement liés à un domicile privé, où une personne – une femme en général mais non systématiquement – reçoit de façon régulière des invités. À la différence des académies, des cercles littéraires, des loges ou des clubs, il n'existe ni listes de membres, ni statuts, ni ordres du jour. On n'est pas membre d'un salon, on est reçu par un maître ou une maîtresse de maison. Pour autant, bien sûr, cette sociabilité est précisément codifiée. Les voies d'accès au salon, la façon de se présenter et de se tenir, les sujets que l'on peut aborder et la façon de les traiter, tout cela est régi par un ensemble de règles d'autant plus contraignantes qu'elle ne sont pas explicites et que leur transgression signale immédiatement le nouveau venu qui n'a pas sa place dans un salon, parce qu'il ne maîtrise pas les codes de conduites de la bonne société. Ainsi, cet espace de sociabilité que l'on appelle le salon se situe à l'intersection entre l'informel et le formel, entre la parade sociale et les pratiques culturelles, entre la distinction sociale et l'invention langagière. C'est cette ambiguïté des salons, qui tiennent à la fois de la société de cour et de la vie intellectuelle, qui fait tout leur intérêt historique.

Histoire et géographie des salons

Historiquement, l'apogée du monde des salons se situe entre le début du xviie siècle et le milieu du xixe siècle. On trouve des salons au xvie siècle, certes, mais ceux-ci sont encore mal distincts des cours princières, telle celle de Marguerite de Navarre (1492-1549) où se réunissent des aristocrates et des écrivains et où s'élaborent les nouvelles de L'Heptaméron. C'est bien au xviie siècle que les salons deviennent une institution importante de la vie sociale des élites, à Paris puis en province. Leur émergence tient à trois facteurs. D'une part, l'influence des cours italiennes de la Renaissance est porteuse d'un modèle de raffinement des comportements et de civilisation des mœurs. La politesse, le jeu et la conversation des femmes s'imposent au sein d'une société choisie, située dans l'ombre du prince. Le développement d'un idéal d'honnêteté et de galanterie dans les élites françaises du xviie siècle[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire moderne à l'École normale supérieure

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