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SALONS LITTÉRAIRES

Les pratiques de la mondanité

Le salon se distingue d'autres formes d'hospitalité mondaine par le principe de la régularité. Au sens strict, le salon repose donc sur le mécanisme du jour fixe, hebdomadaire, « marqué » disait-on au xviiie siècle, où ceux qui ont été reçus une fois peuvent se présenter quand ils le souhaitent sans avoir besoin d'invitation, sûrs qu'ils sont d'y trouver la maîtresse de maison et d'autres habitués. Ce modèle mis en place au xviie siècle, notamment avec les samedis de Mademoiselle de Scudéry (1607-1701), connaît un grand succès au xviiie siècle avec les lundis et mercredis de Madame Geoffrin (1699-1777), les vendredis de Madame Necker (1739-1794), les dimanches du baron d'Holbach (1723-1789). Il se perpétue encore au xxe siècle avec, par exemple, les jeudis de Florence Gould. Dans la pratique ce modèle est souvent assoupli, les jours changent de temps en temps et des réceptions supplémentaires viennent s'ajouter au jour marqué. Les dîners occasionnels, les « soupers priés » sur invitation et les nombreuses visites rythment le temps du salon. Ainsi, Madame Geoffrin, une des plus célèbres salonnières du xviiie siècle, ne se contente pas de recevoir à dîner (le repas du midi) tous les lundis et mercredis. Elle donne aussi des soupers plusieurs fois par semaine et les habitués de son salon sont certains de la trouver chez elle tous les jours, le matin avant onze heures et tous les soirs après cinq heures. Une telle disponibilité est un des éléments qui lui a permis de faire de son salon un haut lieu de la sociabilité parisienne des Lumières. Faute de se plier à une telle contrainte, de nombreux salons ne connaissent qu'une existence éphémère.

Parce que le salon est fondé sur l'hospitalité, les maîtres ou maîtresses de maison y exercent une autorité indiscutable et choisissent souverainement qui est digne d'être reçu et qui ne l'est pas. Refusant de recevoir un baron allemand qu'on lui présente, il suffit à Madame Geoffrin d'affirmer : « La barrière est fermée ». Au-delà de ce mécanisme qui fait du salon une sorte de petite cour, l'accès au salon se fait aussi sur le mode de la cooptation. En amont, il faut être présenté par un habitué, soit directement à l'occasion d'une première visite, soit par l'intermédiaire d'une lettre de recommandation. Ce sésame donne l'assurance que le nouveau venu appartient déjà, avant même son entrée au salon, à un réseau plus large, celui de la bonne société française ou européenne. Un tel mécanisme donne lieu à une vaste circulation européenne des lettres de recommandation, dont la valeur est bien différente selon les conditions. Edward Gibbon, historien réputé et homme du monde, arrive à Paris muni de quatorze lettres de recommandations dont certaines ne lui sont d'aucun usage, tandis que d'autres lui valent d'être reçu. Lorsque l'abbé Galiani écrit une lettre de recommandation pour un de ses compatriotes napolitains qui souhaite être reçu chez Madame d'Épinay, il précise à celle-ci qu'il s'agit d'une lettre de complaisance, à recevoir « sous bénéfice d'inventaire ». Dans la sociabilité des salons, ces lettres de recommandation jouent en quelque sorte le même rôle que les preuves de noblesse pour la présentation à la cour. Au lieu d'assurer l'appartenance à une aristocratie héréditaire, elles témoignent de l'inscription dans un réseau d'interconnaissance qui est celui de la bonne société. En aval, après cette première visite, vient ensuite le jugement du cercle restreint des amis de la maison. Celui-ci joue souvent un rôle décisif dans la cooptation.

Les salons ne sont pas des sociétés littéraires : la littérature n'en est jamais l'occupation unique, ni même la principale, et sa[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire moderne à l'École normale supérieure

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