SALONS LITTÉRAIRES
Le paradis des femmes ?
On a souvent dit que les salons étaient le lieu d'une « culture féminine » voire le « paradis des femmes ». C'est sans doute trop dire. Mais, dans la société aristocratique d'Ancien Régime puis dans ses avatars du xixe siècle, il est évident que le salon, par son caractère mi-privé mi-public, est le lieu idéal d'affirmation du rôle culturel accordé aux femmes. En tant que maîtresses de maison, celles-ci jouissent de prérogatives incontestées et d'une relative liberté. Elles peuvent encourager, recevoir les écrivains ou les artistes qu'elles apprécient, animer et diriger la conversation, recevoir les hommages des hommes à la mode. Les salons permettent à certaines femmes de jouer un rôle culturel, social, voire politique conforme à leur talent, alors même que le monde académique ou les institutions politiques officielles ne leur accorde aucune place. Pensons, par exemple, à Madame de Staël (1766-1817) que Napoléon craint moins pour ses écrits que pour sa capacité à réunir chez elle des représentants des différents groupes de l'élite parisienne. En revanche, le salon reste un espace relativement clos, dans lequel les femmes sont cantonnées à un rôle traditionnel et sommées de se conformer aux normes de la bienséance féminine : discrétion, modestie, refus de l'érudition. À ce titre, si la sociabilité mondaine est sans doute pour certaines femmes un dérivatif à leur faible rôle dans la vie intellectuelle publique, elle ne leur permet pas d'échapper au discrédit qui touche le savoir féminin. Au contraire, la réussite mondaine doit se faire contre les ambitions intellectuelles, jugées peu conformes à l'honnêteté féminine. La contrainte est d'autant plus forte qu'elle s'exerce par le biais de la stigmatisation et du ridicule et on peut analyser la critique par Molière ou Boileau de la « préciosité » comme une façon de rappeler aux femmes que la liberté dont elles jouissent dans l'espace domestique implique de se conformer strictement aux règles de la bonne société.
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Écrit par
- Antoine LILTI : maître de conférences en histoire moderne à l'École normale supérieure
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