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SALONS LITTÉRAIRES

Les écrivains et la bonne société.

Comme nous l'avons vu, au regard d'autres formes de sociabilité mondaine, une des grandes spécificités des salons parisiens est la place qu'y occupent les écrivains. Leur présence régulière et durable au sein de la bonne société a été souvent commentée par les historiens et a donné lieu à des interprétations divergentes. Doit-on considérer que les auteurs qui fréquentent les salons ne sont que des arrivistes sans scrupules, plus intéressés par les succès mondains que par leur œuvre, ou doit-on, au contraire, en déduire que les salons sont des lieux soustraits à l'empire du pouvoir, entièrement consacrés à la littérature et à la conversation et où les différences sociales n'ont plus cours ? Évidemment, aucune de ces solutions simplistes n'est satisfaisante. Il faut plutôt essayer de comprendre comment s'est formé historiquement ce lien particulier entre la bonne société et une partie du monde littéraire. En France, une telle alliance s'est nouée dans la première moitié du xviie siècle. Les belles-lettres, les sciences et la philosophie sortent des milieux savants pour toucher de nouveaux publics, mondains et féminins ; de nouvelles formes de distinction sociale fondées sur les divertissements littéraires et la maîtrise de la conversation sont mis en avant par la société de cour ; enfin, de nouvelles représentations de l'écrivain font accéder celui-ci au rang des personnes qu'il convient d'inviter et de recevoir. Entre les élites parisiennes et les écrivains à succès, du moins ceux qui acceptent de jouer le jeu de cette bonne société en contribuant par leurs poésies, leurs lettres et leurs bons mots à ses divertissements, se noue alors une alliance de longue durée qui s'exerce durablement jusqu'au xxe siècle. Même des auteurs dont l'œuvre semble éloignée des formes prônées par les salons, tels les frères Goncourt, auteurs de romans réalistes volontiers critiques, fréquentent avec assiduité le salon de la princesse Mathilde et sont nostalgiques d'un xviiie siècle mondain et rococo largement fantasmé.

Le xviiie siècle occupe en effet dans cette histoire une place singulière. À bien des égards, il apparaît comme le siècle d'or des salons parisiens, sommet de leur activité et de leur prestige. Dans ces salons, la présence massive des encyclopédistes et de tout ce que Paris compte alors de disciples de Voltaire a fait croire qu'ils sont des lieux privilégiés de diffusion de la philosophie des Lumières. Il n'en est rien, même si, bien sûr, cette présence témoigne plus largement de la réceptivité des élites sociales à l'égard des Lumières. Le point important est plutôt que les écrivains des Lumières, y compris parfois les plus radicaux d'entre eux, ont assez massivement investi les salons de l'aristocratie parisienne parce qu'ils y voient à la fois un lieu de consécration, une marque de réussite sociale par l'écriture et une voie d'accès aux ressources du mécénat et à la cour, mais aussi parce qu'ils adhèrent en grande partie à l'idéal de l'homme du monde poli et cultivé. « Il faut être homme du monde avant d'être homme de lettres », écrit Voltaire (1694-1778), soucieux de critiquer aussi bien les érudits et les pédants que les polygraphes qui essaient de vivre de leur plume et en qui il ne voit que « canaille littéraire ». Les écrivains des Lumières prennent ainsi ouvertement le relais des auteurs du Grand Siècle pour publier l'excellence et l'universalité des valeurs mondaines.

Mais la seconde moitié du xviiie siècle est marquée, en parallèle, par la cristallisation d'une critique radicale du salon comme lieu de corruption sociale, morale et politique. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) est le plus célèbre et[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire moderne à l'École normale supérieure

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