SALONS LITTÉRAIRES
Politique et mondanité
Parce que les salons sont trop souvent présentés comme une institution strictement littéraire ou intellectuelle, on a tendance à négliger leur rôle politique, comme si les conversations qui s'y déroulent étaient cantonnées au domaine de l'esthétique ou des idées générales. En réalité, les salons sont bien souvent aussi des lieux de pouvoir où peuvent se nouer des intrigues politiques et se construire des carrières. Ce rôle politique des salons est important sous l'Ancien Régime en raison de la présence de la cour. Déjà, au xviie siècle, les conversations qui se tiennent chez Madame de Rambouillet intéressent tant le cardinal de Richelieu qu'il a, à en croire Tallemant des Réaux, chargé son éminence grise le père Joseph de l'approcher et de lui demander des informations. Au siècle suivant, la surveillance policière ne faiblit pas, signe de l'intérêt que le pouvoir porte aux salons. Certains, d'ailleurs, sont liés à des coteries politiques. Celui de la duchesse du Deffand (1697-1780), par exemple, est fortement lié au clan Choiseul. Quant à celui de Madame Necker, il profite à la carrière politique de son mari en lui permettant de bénéficier du soutien enthousiaste d'écrivains à la mode, tout en attirant des membres influents de la bonne société qui adoubent ce banquier genevois protestant devenu homme du monde. La politique des salons fonctionne sur un mode bien particulier : elle consiste à faire circuler des nouvelles, vraies ou fausses, à manifester son soutien ou au contraire son opposition, à quérir des renseignements précieux sur l'état des forces à Versailles ou sur l'état des esprits au Parlement. Les ambassadeurs étrangers le savent bien et se montrent assidus chez Madame Geoffrin ou chez Julie de Lespinasse (1732-1776). Ces lieux leur permettent non seulement de rencontrer les philosophes qui font la réputation intellectuelle de Paris mais, surtout, de nouer des contacts, de glaner les nouvelles qui rempliront les dépêches diplomatiques et, parfois même, de répandre des fausses nouvelles. Durant la guerre d'Indépendance américaine, l'ambassadeur d'Angleterre est devenu spécialiste de cet exercice et a même fini par lasser l'inspecteur de police chargé de sa surveillance qui s'est étonné de la crédulité des gens du monde, toujours prêts à accorder du crédit à des nouvelles systématiquement démenties par la suite.
Dans les premières années de la Révolution, les salons de Madame de Staël, de Madame de Flahaut (1761-1836) et plus tard de Madame Roland (1754-1793) jouent un rôle de premier plan en continuant à associer des activités différentes qui font le sel de la vie mondaine : on y lit des pièces de théâtre, on discute des événements politiques du jour, on négocie des accords. Après une interruption liée à la Terreur et à l'émigration d'une partie de la haute noblesse, les salons sont à nouveau à l'honneur sous le Directoire avec notamment celui de Madame Tallien (1773-1837) puis, sous le Consulat, avec celui de Madame Récamier. Napoléon, conscient du rôle politique de cette sociabilité et soucieux d'assurer la réconciliation des élites anciennes avec le régime nouveau, a cherché à contrôler la vie mondaine. Des dignitaires de l'empire comme Talleyrand ou le duc de Bassano tiennent eux-mêmes des salons à la mode et l'empereur surveille attentivement la fréquentation de ceux qui sont suspectés d'être des foyers d'opposition.
C'est sans doute dans la première moitié du xixe siècle que ce rôle politique des salons fut le plus important et le plus visible. Les débuts du régime parlementaire élargissent l'espace du politique, qui, s'il n'est plus confiné à la cour et à l'entourage royal, est toutefois maintenu aux limites d'une étroite élite sociale par le suffrage censitaire.[...]
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Écrit par
- Antoine LILTI : maître de conférences en histoire moderne à l'École normale supérieure
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