SALUT
Le salut dans l'orphisme grec
Dans la religion grecque commune, le titre de « sauveur » ou « salvatrice » (sôter et sôteira) est décerné à plusieurs dieux et déesses. C'est une épithète ordinaire de Zeus et d'Athéna ; les Athéniens célébraient en l'honneur de tous deux une fête appelée précisément Diisôteria ; ils offraient à Zeus sôter la troisième et dernière coupe des banquets, et Platon fait plusieurs fois allusion à cette coutume en parlant de « Zeus, troisième Sauveur ». Sôter et sôteira sont encore le titre habituel d'Apollon, d'Asclépios, d'Artémis ; Isis et Sérapis sont invoqués dans les mystères comme theoi sôteres. Il ne faudrait cependant pas se méprendre sur l'objet de ce salut ; les inscriptions montrent que les dieux sont ainsi nommés quand on s'adresse à eux pour obtenir des bienfaits limités et terrestres, une guérison ou un heureux voyage, ou pour les remercier d'avoir reçu une semblable faveur. Aussi comprend-on que les rois hellénistiques et les empereurs romains finirent par porter le même titre ; ainsi, au iiie siècle avant J.-C., Ptolémée Ier d'Égypte et Antiochus Ier de Syrie ; César est salué par la ville d'Éphèse comme le « sauveur commun de la vie humaine » ; Antonin le Pieux l'est comme celui « qui sauve tout le genre humain ». Il faut ajouter que ce titre de sauveur est associé fréquemment à l'idée de la « manifestation » (epiphaneia) du personnage : Asclépios sôter est dit « avoir manifesté sa présence » ; Antiochus et César sont appelés dans des inscriptions des « dieux manifestes ».
Le salut procuré par tous ces dieux et princes sauveurs ne dépasse pas, on l'a vu, le niveau médiocre du bien-être et de la bonne fortune. Mais il en va tout autrement dans ce courant privilégié de la religion grecque ancienne qu'est l'orphisme. L'orphisme primitif, connu notamment par le témoignage de Platon qui l'associe souvent au pythagorisme, se formait de la vie une représentation radicalement pessimiste ; exploitant (à moins qu'ils ne l'aient inspirée) une formule paradoxale d'Héraclite promise à une longue fortune, les orphiques regardaient la prétendue vie des hommes comme une vraie mort, et leur mort comme la vraie vie. C'est que la vie présente était à leurs yeux le temps d'un châtiment mérité par des fautes antérieures, en particulier par une faute originelle et constitutive ; péché collectif lointain et expiation individuelle présente, ces convictions reposaient sur une anthropologie mythique selon laquelle le genre humain aurait été issu des cendres des Titans foudroyés par Zeus pour avoir dévoré le jeune Dionysos, en sorte que la nature de chaque homme comportait, de façon héréditaire, deux parts inégales en dignité comme en étendue : une parcelle précieuse sauvée du corps de Dionysos y était enfouie dans la masse perverse héritée des Titans. Dans cette perspective, tout le sens de la vie humaine était de libérer l'élément dionysiaque de sa gangue titanique ; et ce résultat se méritait dans une suite douloureuse de réincarnations.
L'adepte de l'orphisme peut-il aider à ce processus libérateur dont l'achèvement définit le salut ? En tout cas, il résistera à la tentation d'une libération prématurée et violente ; il s'interdira le suicide ; le Socrate du Phédon(62 ab) fait sur ce point une claire allusion aux orphiques et cite l'une de leurs formules : « Et puisqu'il y a des gens pour qui d'un autre côté il vaut mieux d'être morts, oui, il te paraît probablement merveilleux que ce soit de leur part une impiété de se procurer à eux-mêmes ce bienfait, et qu'au contraire ils doivent attendre un bienfaiteur étranger !... » Il y a, à ce propos, une formule qu'on prononce dans les mystères : « Une sorte[...]
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Écrit par
- André DUMAS
: pasteur, président du journal
Réforme - Jean PÉPIN : directeur de recherche au C.N.R.S., chargé de conférences à l'École pratique des hautes études (IVe section)
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