SALVADOR DALÍ. DÉSIRS INASSOUVIS (J.-L. Gaillemin)
Tiré d'une thèse d'université, l'ouvrage de Jean-Louis Gaillemin Salvador Dalí. Désirs inassouvis. Du purisme au surréalisme 1925-1935 (éditions Le Passage, Paris, 2002) analyse un pan peu connu de l'œuvre de Dalí : son évolution du purisme au surréalisme. L'auteur se distingue de ses prédécesseurs Rafael Santos Torroella, Dawn Ades ou Ian Gibson, en ajoutant au dialogue obligé Dalí-Lorca une réflexion sur les rapports entre l'architecte Emilio Terry (1890-1969) et Dalí dans deux chapitres qui tendent le fil conducteur de la démonstration : le rapport à l'architecture et à son décor comme révélateur de la « conversion » de Dalí. En présentant dans son exposition Fantastic Art, Dada and Surrealism (1936) le projet de « maison-escargot » (1932) de Terry, le conservateur du Museum of Modern Art de New York, Alfred Barr Jr., avait lié l'architecte au surréalisme ; et cela avec d'autant plus d'à-propos que Dalí, qui avait fait la connaissance d'Emilio Terry à Paris, probablement grâce aux Noailles, avait tenu à présenter lui-même en 1935 au MoMA son Portrait d'Emilio Terry dessinant (1934). Dans cette toile, une étrange forme anamorphosée posée sur le bureau surplombait de son inquiétant mystère la gracieuse « folie-escargot » de l'architecte. Jean-Louis Gaillemin va alors mener son enquête, savamment construite comme un roman policier : cette prolifération ornementale et organique qui défie l'ordre architectural n'est-elle pas l'aboutissement du processus de transformation psychologique et artistique du Catalan, processus commencé au pied des cubes blancs des maisons de Cadaquès pour se terminer au-delà de l'entrée en surréalisme en 1929, dans la fascination pour les façades Art nouveau de Gaudí à Barcelone ?
De cette mutation du génie, Terry aura-t-il été autre chose qu'un témoin sidéré ? Les « portraits architecturés » que Dalí peint de sa propre sœur Ana Maria à Cadaquès sont contemporains du goût de l'artiste pour la beauté exacte, le « pur objet industriel », le nouveau classicisme né de la convergence du noucentisme catalan, du purisme de L'Esprit nouveau et de la métaphysique construite diffusée par la revue Valori Plastici.
Grand lecteur, remarquable distillateur, Dalí se place avec son ami Federico Garcia Lorca sous le mythe de saint Sébastien, figure de l'artiste torturé par l'amour de la précision et du trait acéré. Mais, au même moment, il est bouleversé par le grouillement des êtres et des objets qu'il observe en arpentant la plage et les rochers tourmentés du cap Creus. Dans les œuvres qu'il peint alors, appareils de mesure et d'optique servent à enregistrer l'« autonomie des objets » (Appareils et main, 1927). Petites Cendres, « œuvre carrefour », présente les « suppositions figuratives » que le peintre, qui vient en 1928 de lire avec passion Le Surréalisme et la peinturede Breton, invente à partir de ce que lui suggère le mouvement du monde.
Breton, qui préface sa première exposition parisienne à la galerie Goemans en novembre 1929, voit alors en Dalí le contrepoids à Georges Bataille et à Carl Einstein qui ont substitué, dans le premier numéro de la revue Documents, l'« extravagance positive » et la « figuration hallucinatoire » à la réceptivité un peu passive des états surréalistes. Breton estime que l'interprétation paranoïaque de l'architecture modern style par Dalí et la profusion des ornements qui envahissent ses toiles de 1929, jusqu'à détruire l'ordonnance des structures classiques, marqueront les esprits auxquels le poète destine en 1929 le Second Manifeste du surréalisme. C'est d'ailleurs Dalí qui en dessine le frontispice. Dans « L'Âne pourri », qui paraît dans Le Surréalisme au service[...]
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Écrit par
- Thierry DUFRÊNE : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-X-Nanterre
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