DALÍ SALVADOR (1904-1989)
La méthode « paranoïaque-critique »
Passionné de longue date par la psychanalyse de Freud et les études psychopathologiques de Richard von Krafft-Ebing (en particulier l'ouvrage Psychopathia sexualis paru en 1886), Dalí développe dans les années 1930 sa méthode dite « paranoïaque-critique », « instrument de tout premier ordre » dont Dalí, de l'avis de Breton, dote alors le surréalisme. La principale originalité de cette méthode tient à sa dimension active et volontaire opposée à la passivité des hallucinations recherchées jusque-là par les surréalistes, de même qu'à son association avec une forme de folie ou de dérèglement mental. Telle est l'ambivalence de l'art de Dalí, qui oscille entre l'application consciencieuse et systématique des manuels de psychanalyse et la manifestation de troubles réels, ce que Dalí résume dans son Journal d'un génie : « Je n'ai jamais refusé à ma féconde et élastique imagination les procédés de recherche les plus rigoureux. Ils ne firent que donner de la rigidité à ma loufoquerie congénitale. » Au-delà d'une fantaisie débridée règne la cohérence d'une œuvre fondée sur la récurrence de motifs obsessionnels. Le délire systématique qui résulte de la méthode paranoïaque-critique engendre une forme de savoir irrationnel fonctionnant essentiellement par associations et créant des « images qui provisoirement ne sont pas explicables ni réductibles par les systèmes de l'intuition logique ni par les mécanismes rationnels ». La Conquête de l'irrationnel, paru en 1935, offre la discussion la plus approfondie (esquissée dans une première publication, La Femme visible, 1930) des principes développés par Dalí : « Toute mon ambition sur le plan pictural consiste à matérialiser avec la plus impérialiste rage de précision les images de l'irrationalité concrète. Que le monde imaginatif et de l'irrationalité concrète soit de la même évidence objective, de la même consistance, de la même dureté, de la même épaisseur persuasive, cognoscitive et communicable, que celle du monde extérieur de la réalité phénoménique. » Ces interférences entre le monde réel et celui que crée l'imagination engendrent le paradoxal « sujet concret irrationnel » que Dalí cherche à exprimer dans des œuvres telles que L'Énigme de Guillaume Tell (1933, Moderna Museet, Stockholm). La toile, d'après Dalí, « décrit le drame psychologique de la révolte surréaliste du fils contre le père », à grand renfort de déformations des chairs amollies, de béquilles, symboles de mort et de résurrection, de projections d'angoisses liées au cannibalisme.
Les ressorts principaux des œuvres réalisées selon cette méthode sont le rapprochement d'images hétérogènes, la transformation ou encore la métamorphose que subissent, entre autres, les composantes de L'Angélus de Millet dans Atavisme du crépuscule (phénomène obsessif) de 1933-1934 (musée des Beaux-Arts, Berne) : Dalí y réinterprète les relations entre les deux personnages à la lumière d'associations sexuelles et morbides et fait ainsi coexister dans la même image différents plans de l'activité psychique. En effet, « l'activité paranoïaque-critique organise et objective de façon exclusiviste les possibilités illimitées et inconnues d'association systématique des phénomènes subjectifs et objectifs qui se présentent à nous comme des sollicitations irrationnelles, à la faveur exclusive de l'idée obsédante. L'activité paranoïaque-critique découvre par cette méthode des « significations » nouvelles et objectives de l'irrationnel, elle fait passer tangiblement le monde même du délire sur le plan de la réalité. » Dans cette optique, Dalí expérimente à partir de L'Homme invisible (1929, Museo nacional[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Guitemie MALDONADO : professeur à l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris
Classification
Médias
Autres références
-
SALVADOR DALÍ. DÉSIRS INASSOUVIS (J.-L. Gaillemin)
- Écrit par Thierry DUFRÊNE
- 1 030 mots
Tiré d'une thèse d'université, l'ouvrage de Jean-Louis Gaillemin Salvador Dalí. Désirs inassouvis. Du purisme au surréalisme 1925-1935 (éditions Le Passage, Paris, 2002) analyse un pan peu connu de l'œuvre de Dalí : son évolution du purisme au surréalisme. L'auteur se distingue...
-
BUÑUEL LUIS (1900-1983)
- Écrit par Jean COLLET
- 2 721 mots
- 3 médias
...héros de Tristana, don Lope, il aura toute sa vie des amis prêtres, religieux ou religieuses. Étudiant à Madrid, il rencontre Federico García Lorca et Salvador Dalí. Avec ce dernier, il écrira le scénario du Chien andalou. Le mariage de Dalí avec Gala mettra fin à leur amitié en 1930, alors que Buñuel... -
GALA ELENA DIMITROVNIE DIAKONOVA dite (1892 env.-1982)
- Écrit par Jean-Charles GATEAU
- 910 mots
Gala existe surtout comme figure tutélaire du surréalisme, à l'interférence des œuvres de Paul Eluard, de Max Ernst et de Salvador Dalí.
Née vers 1892, Elena Dimitrovnie Diakonova, fille d'un avocat russe, étudiante, soigne une affection pulmonaire (ou psychique, selon La Vie secrète...
-
LES CHOSES. UNE HISTOIRE DE LA NATURE MORTE (exposition)
- Écrit par Robert FOHR
- 1 178 mots
- 1 média
Après la section intitulée « Sélectionner, collectionner, classer » où se glissait une œuvre très élaborée deSalvador Dalí, Nature morte vivante (1956, musée Dalí, Saint Petersburg, Floride), toile dans laquelle le désordre prend le pas sur le classement dans une sorte de parodie de la... -
POMPIER, art
- Écrit par Jacques THUILLIER
- 4 020 mots
- 7 médias
...type même du pompier, et revenu en peu d'années au rang de l'un des génies du siècle (PierreLouis Mathieu, Gustave Moreau, Paris, 1976). De son côté, Salvador Dalí, avec son outrance paradoxale mais efficace, présente dès 1967 son Hommage à Meissonier (hôtel Meurice, Paris), où il défend non seulement... - Afficher les 9 références