DI GIACOMO SALVATORE (1860-1934)
Né à Naples le 13 mars 1860, peu de mois avant la chute des derniers Bourbons, Salvatore Di Giacomo est sans aucun doute un élément essentiel du tournant que connaît la poésie italienne à la charnière du xixe et du xxe siècle, avec le plus jeune D'Annunzio et leur aîné Giovanni Pascoli. En effet, ces trois noms, symboliquement, évoquent chacun à sa manière les principales tendances de la poésie lyrique du xxe siècle en ce qu'elle affirme d'absolue subjectivité et de relative autonomie nationale. Ils sont présents, plus ou moins occultés ou revendiqués, dans la majeure « tradition » de la modernité telle que nous l'ont transmise Saba, Gozzano, Ungaretti, Montale, Betocchi, Quasimodo ou Sereni, et bien sûr du côté dialectal Giotti, Marin, Pasolini... La mémoire de la poésie, à l'égard de laquelle ils se montraient d'ailleurs si perceptifs, parfois jusqu'à la préciosité, ne saurait se passer de leurs œuvres, toujours agissantes par le choix d'écriture et bien souvent les thèmes de référence ; deux versants, comme chez Ungaretti, tout à fait inséparables et donnant pour Di Giacomo leur dignité aux mots du livre : « De souvenirs nous vivons. Peu à peu / devrons-nous devenir froide cendre, / mais toujours sous la cendre le feu / du temps disparu sera caché, tendre » (Avez-vous lu jamais..., 1888).
D'où, chez Di Giacomo, le choix du dialecte – dont aucune traduction ne saurait rendre compte – et l'alliance avec la chanson dite populaire – d'ancienne tradition, elle aussi, à Naples –, dès ses débuts dans le Courrier du matin local et pour la fête-festival de Piedigrotta (1882), en particulier avec le musicien Mario Costa. Le seul langage naturel, alors que la ville perdait à jamais son rang de capitale, restait celui du parler expressif, elliptique, secrètement gestuel, sans lourdeurs de dictionnaire ni syntaxe scolaire, de la foule napolitaine. D'où la volonté, encouragée par Benedetto Croce, de se rattacher à une mythologie simple, connue et de communication sûre, y compris dans ses aspects les moins rassurants – souvent allusifs – qu'une pudeur perdue rendrait improbables en langue. Ainsi, dans une sorte d'érotisation générale, vague et heureuse, d'un univers enfantin : « Lorsque paraît la lune à Marechiare / les poissons même vont faire l'amour » (1891). Ainsi, même malade, quand la fièvre ne peut que renvoyer immédiatement au spectre du choléra (une épidémie avait emporté le père du poète en 1884), avec l'évocation baroque du cortège habituel d'amoureuses que vient fermer la Mort, dans Songe d'une nuit d'hiver (1900).
La poésie en dialecte, que les critiques distinguent de plus en plus nettement de la poésie dialectale, régionale ou vernaculaire, trouve d'emblée chez Di Giacomo une justesse de trait, une diversité et des capacités proprement littéraires qu'elle n'avait plus depuis Porta ou Belli. Comme chez ces derniers, elle passe de la description-narration haute en couleurs, presque chorale, à l'évocation et à l'épanchement intimes, et au pur lyrisme de la voix singulière, selon des registres aussi amples que ceux de la poésie tout court. Mais elle leur ajoute une musicalité inconnue, tenant parfois du prodige par son apparente facilité – affinée sans doute au contact des madrigaux ou mélodrames italiens des siècles précédents, mais aussi du Verlaine des Ariettes oubliées. Les lecteurs sentent passer un air nouveau. Si bien que, du même coup, cet auteur discret redonne au dialecte napolitain la place qu'il perdait sur le plan politique, et permet un passage à une modernité européenne dont la langue officielle du nouvel État, à base toscane, n'était pas toujours capable.
Le recueil le plus significatif, à cet égard, est justement Ariette e sunette (« Ariettes[...]
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Écrit par
- Jean-Charles VEGLIANTE : professeur des Universités, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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