QUASIMODO SALVATORE (1901-1968)
De l'hermétisme à l'engagement
L'œuvre poétique de Quasimodo s'offre à nous comme une pomme sectionnée en deux dont on ne réussit pas à recoller ensemble les morceaux. Comment en effet discerner une continuité entre la première période « cosmologique » où il oppose un refus mystique à la part banale et caduque de l'existence, à l'aventure individuelle, au lyrisme autobiographique, établissant un dialogue (ou serait-ce un monologue ?) primitif, balbutiant, obscur, elliptique avec le cosmos, et celle du Quasimodo touché par la guerre, premier et peut-être seul poète de la Résistance italienne, dont l'œuvre s'est, à partir de cette date, voulue actuelle, sociale, miroir des événements historiques et des faits divers, ouverte à la joie et à la peine des hommes ? Avec Eaux et Terres, Hautbois noyé (Oboesommerso, 1932), Odeur d'eucalyptus (Odore di eucalyptus, 1933), Erato e Apollion (1936), Poesie (1938), encore à la charnière, Et soudainement le soir (Ed e subito sera, 1942), Quasimodo s'inscrit dans le courant qui, du Mallarmé d'Igitur à Valéry, à son contemporain et compatriote Ungaretti, a pu être qualifié d'hermétique. Hermétique dans son évocation baudelairienne d'un paradis perdu, d'un âge d'or enfoui en un passé mythique. Hermétique comme le sont tous les grands créateurs de mythes, dans la lignée des poètes orphiques opposés à la poésie homérique, dont on a tour à tour cité les noms à son propos : Blake, Hölderlin, Novalis, Rimbaud, et l'on pourrait ajouter G. Benn pour la poésie allemande contemporaine. Peut-être les affinités avec Nerval – évoqué avec pertinence par Aragon, pour le même rapport intime qu'ils entretenaient avec leurs terres respectives, le Valois et la Sicile – méritent-elles une mention particulière. Tous deux sont des voyageurs des ténèbres qu'éclairent le même « soleil noir ». Mais leur paysage intérieur est sensiblement différent. Chez le poète italien, la succession de verbes de mouvement (je m'abîme, je me jette, je m'enfonce, je dors) rythme une chute ou un abandon à l'humus originel. Cris inarticulés ou suspendus, arrachement douloureux ou ébloui de l'être à la masse indifférenciée, à un prémonde ou à un monde d'après le déluge, de lendemain de déluge comme le note Vittorini qui parle de la dissolution aquatique sous le signe de laquelle est placé le recueil Hautbois noyé : « En moi, il fait nuit, / l'eau se couche sur mes mains herbeuses. » Toutefois, l'eau n'est qu'une composante de cette poésie des quatre éléments où prédomine la terre. « Je suis un homme des quatre éléments » a dit de lui-même Quasimodo.
Et sans doute est-ce là la clé, ou mieux, la grille qu'il convient d'appliquer à l'œuvre entière, si l'on veut retrouver, au-delà de l'apparente brisure et incohérence, l'unité entre le premier Quasimodo, d'ombres et d'ambiguïtés, et le second, de Jour après jour, du Vert vrai et faux (Il Falso e Vero Verde, 1953), de La Terre incomparable (La Terra interaggiabile, 1958), clair, accessible, inséré dans la temporalité, traversé maintenant d'échos d'Eluard et de García Lorca : « Dans le miroir de la lune / des jeunes filles au sein d'orange se peignent (« Les Guitares mortes »). Si, faisant abstraction de ces réminiscences, des professions de foi et des thèmes nouveaux (nostalgie du pays natal, Auschwitz, hommage à la mère, faits divers... dont on ne saurait prétendre d'ailleurs qu'ils ne constituent une nécessaire évolution), on s'attache à étudier son champ sémantique, les constellations de paroles emblématiques autour desquelles s'est cristallisée sa poésie, on retrouve partout les mêmes vocables élémentaires : la terre (la motte, l'oiseau aquatique, la pluie, la plage), le feu (la lumière, le soufre,[...]
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Écrit par
- Angélique LEVI : ingénieur de recherche en littérature générale et comparée à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, traductrice
Classification
Médias
Autres références
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ITALIE - Langue et littérature
- Écrit par Dominique FERNANDEZ , Angélique LEVI , Davide LUGLIO et Jean-Paul MANGANARO
- 28 412 mots
- 20 médias
...des critiques tels que Carlo Bo (1911-2001) et Oreste Macrì (1913-1998), que l’on peut tenir pour les théoriciens de cette poétique. Quant au Sicilien Salvatore Quasimodo (1901-1968), il fait toujours figure de père du mouvement. Prix Nobel de littérature en 1959, il fait ses débuts poétiques à Florence...