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SAMARCANDE

Entre Arabes et Mongols (712-1220)

C'est une ville prospère que le général omeyyade Qutayba ibn Muslim assiège en 712, et l'opulence qu'il découvre lorsqu'il entre dans la ville l'amène à violer les termes de la reddition qui avait été négociée ; il brûle les idoles, pille les temples, expulse la population. Les nobles se replient vers Pendjikent où ils préservent leur autonomie et leur richesse pendant une vingtaine d'années, après quoi les maîtres arabes de Samarcande détruisent définitivement ce refuge. Ce sort brutal nous vaut la conservation d'un trésor unique de peintures murales, qui n'ont peut-être pas toutes la séduction de la « fresque » des Ambassadeurs à Samarcande, mais dépeignent la vie, les plaisirs, les croyances de cette aristocratie guerrière et marchande ; les fables dites d'Ésope et les combats épiques (presque trois siècles avant le Livre des rois), les divinités hindoues ou zoroastriennes témoignent du foisonnement culturel de Samarcande préislamique.

La grande mosquée se dresse sans doute à l'emplacement du temple zoroastrien, mais les vestiges de celui-ci n'ont pu encore être retrouvés. En revanche, les restes très spectaculaires d'un grand palais du viiie siècle, laissé inachevé ont pu être attribués avec vraisemblance à l'instigateur de la révolte (vers 746-749) qui permit aux 'Abbassides de supplanter les Omeyyades sur le trône califal (750). Trop puissant, Abū Muslim fut exécuté dès 755.

Gengis khan à Boukhara - crédits : W. Forman/ AKG-images

Gengis khan à Boukhara

Samarcande est quelque peu éclipsée, à l'heure de la renaissance iranienne (ixe siècle), par Boukhara où brille la dynastie des Samanides (875-999). Mais elle retrouve une place privilégiée sous la dynastie qui marque l'arrivée au pouvoir des Turcs en Asie centrale, les Qarakhanides, bientôt vassaux d'autres Turcs, les Seldjoukides, eux-mêmes évincés par les gouverneurs de leur province du Khorezm... Le palais attribué à Abū Muslim a livré en 1998 des peintures murales d'époque qarakhanide, sans équivalent jusqu'ici (celles qui avaient été exhumées à Lashkari Bazar en Afghanistan ont disparu). Samarcande passe en 1212 sous administration directe du Khorezm à la suite d'une révolte du dernier souverain qarakhanide, qui perd son trône. La grande mosquée reçoit alors un décor somptueux, très vite victime de l'incendie qui marque la prise et la destruction de la ville par Gengis khan en 1220. On en a retrouvé de beaux débris en stuc d'époque abbasside, mais des couleurs et de l'art du bois, attesté sur d'autres sites, pour les colonnes et les plafonds, il ne reste rien.

La catastrophe mongole aggrava un problème d'urbanisme : deux millénaires d'occupation humaine avaient tellement exhaussé le niveau de la ville murée que, malgré d'énormes réservoirs qui s'inscrivent encore aujourd'hui dans son paysage, les difficultés d'approvisionnement en eau incitèrent la population à s'installer en contrebas, dans le faubourg sud qui devint au xive siècle le noyau de la cité timouride.

Un seul édifice remontant à cette période prémongole est resté vivant jusqu'à nos jours. C'est un très ancien sanctuaire d'un génie des eaux, établi à l'endroit où la principale adduction faisait son entrée en ville, après avoir croisé la route du sud. Il est islamisé sous l'invocation de Qutham, fils de al-'Abbās, l'oncle paternel du Prophète, dont se réclamaient les califes abbassides. Qutham disparut à cet endroit lors du premier siège de Samarcande par les Arabes (676) – décapité alors qu'il priait, il se releva emportant sa tête, comme saint Denis, et s'enfonça dans un puits. Al-'Abbās son père était à La Mecque le gardien de l'eau sainte du puits Zamzam. Qutham habite à Samarcande un paradis souterrain, où il festoie parmi le murmure des eaux vives avec le titre de « Roi vivant », Shāh-e Zinda.[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités, université de Paris-X-Nanterre

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Gengis khan à Boukhara - crédits : W. Forman/ AKG-images

Gengis khan à Boukhara

Le Registan, Samarkand - crédits :  Bridgeman Images

Le Registan, Samarkand

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