FREY SAMI (1937- )
Dans La Bête dans la jungle, pièce de théâtre adaptée par Marguerite Duras du court récit d'Henry James, les deux protagonistes démontent le mécanisme du langage, tentent d'en percer l'opacité, débusquant la violence dissimulée dans les mots... Nul mieux que Sami Frey, interprète de la pièce au côté de Delphine Seyrig, en 1981, ne pouvait montrer une telle maîtrise du non-dit.
Ce comédien, né à Paris en 1937, a débuté au théâtre – après avoir suivi les cours de René Simon – dans L'Année du bac (1958), véritable vivier de jeunes acteurs débutants. Sami Frey évoluera très vite vers les grands auteurs, qu'il sert de sa voix incantatoire, identifiable entre toutes : Brecht pour Dans la jungle des villes, dirigé par Antoine Bourseiller, Claudel pour Le Soulier de satin, dans la mise en scène de Jean-Louis Barrault, Racine pour Bérénice, dirigé par Roger Planchon, ou encore Pirandello pour Se trouver, et Peter Handke pour La Chevauchée sur le lac de Constance, mis en scène par Claude Régy. Autant de grands moments de théâtre.
Le jeu secret et l'étrange quiétude de Sami Frey, sont particulièrement mis en valeur dans Pour un oui, pour un non de Nathalie Sarraute, Trahisons d'Harold Pinter – dont il mettra en scène C'était hier – et La Musica de Marguerite Duras.
Au cinéma, après des débuts dans Pardonnez nos offenses de Robert Hossein (1956) et une présence très remarquée dans La Vérité, au côté de Brigitte Bardot (1960), il connaît un parcours assez exemplaire. Dans les années 1960, il tourne avec Agnès Varda (Cléo de 5 à 7, 1961), Georges Franju (Thérèse Desqueyroux, 1962), Michel Deville (L'Appartement des filles, 1963), Jean-Luc Godard (Bande à part, 1964), ou encore Charles Belmont (L'Écume des jours, d'après Boris Vian, 1968).
Dans les années 1970, il va être étroitement associé à son rôle dans César et Rosalie de Claude Sautet (1972), où, par son côté zen, il est le parfait antidote à l'ineffable César, alias Yves Montand. Dans ce film, Sami Frey forme un beau couple de cinéma avec Romy Schneider.
Il tente quelques incursions dans le cinéma plus commercial, avec Les Mariés de l'An II (1971) de Jean-Paul Rappeneau ou, plus tard, Le Garde du corps (1983). Il tourne aussi assez souvent avec des réalisateurs européens, tels que Margarethe von Trotta, Daniel Schmid ou Marco Bellocchio ; ses rôles parfois secondaires n'en manifestent pas moins des choix radicaux.
Au festival d'Avignon, Samy Frey crée un spectacle d'après Georges Pérec, qu'il joue seul en scène durant de nombreuses représentations : Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? Par la suite, il donnera une éblouissante interprétation d'une autre œuvre de Pérec, Je me souviens (1988). Il porte également à la scène Cap au pire de Samuel Beckett (2008). Toujours en 2008, au côté de Jeanne Moreau, il lit la pièce Quartett d'Heiner Müller. Remarquable Valmont, il triture les mots, toujours passionné par l'ambiguïté discursive. En 2009, il adapte pour le théâtre Premier Amour, de Samuel Beckett.
Comédien de haute exigence, Sami Frey demeure un excellent passeur de textes difficiles d'apparence, et qu'il s'ingénie à rendre limpides. Il est rare de trouver un tel unisson entre l'acteur et l'auteur qu'il interprète.
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Écrit par
- André-Charles COHEN : critique de cinéma, traducteur
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