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BECKETT SAMUEL (1906-1989)

Le geste testamentaire

De même que Genet n'a cessé de transposer au théâtre, ainsi qu'il le déclarait lui-même dans sa « Lettre à Pauvert », le geste liturgique de l'élévation, Beckett, lui, ne semble jamais mettre en scène, dans ses pièces et dans toute son œuvre, que le moment de l'agonie, travail symétrique à celui de la naissance, dernier et vain combat pour tenter de donner un sens à la vie. « Je consulterai ma conscience périmée, je gâcherai mon agonie pour mieux la vivre » (Malone meurt). Du cours de l'existence, le dernier théâtre et les ultimes récits de Beckett, c'est-à-dire aussi bien Solo et Berceuse (1982) que Soubresauts (1989), ne nous donnent à voir et, surtout, à entendre (le visuel étant de plus en plus l'objet d'un deuil) que le temps à la fois très court et très long, le temps dichotomique de ce trépas à la faveur duquel toute une vie repasse par la tête d'un personnage « récitant », « souvenant », bref, agonisant. Gisant debout sur son vertical reposoir (le Souvenant de Cette Fois : « Vieux visage blême légèrement incliné en arrière, longs cheveux blancs dressés »), la créature fait interminablement ses adieux au monde au cours d'une cérémonie secrète et sans faste. « Muette toute sa vie [...] pratiquement muette [...] même à elle-même », Bouche de Pas moi est soudain saisie par « une voix que d'abord [...] elle ne reconnaît pas [...] depuis le temps [...] puis finalement doit avouer [...] la sienne [...] nulle autre que la sienne [...] ». Or que dit cette voix de la dernière heure qui, pour être celle de Bouche ne sort pas moins des ténèbres extérieures ? « Comment ç'avait été [...]. Comment elle avait vécu. »

Déjà en faveur dans le théâtre de Strindberg et chez les dramaturges expressionnistes, l'écriture de l'agonie est sans doute la forme littéraire et théâtrale qui correspond le plus étroitement à la recherche beckettienne d'un art condensé, contracté. « À peine venu parti », telle est la formule lapidaire du Souvenant de Cette Fois. Mais, de surcroît, ce temps de l'agonie permet au sujet – ce « je » qui, même mis à mort, entend continuer de se dire – de témoigner une dernière fois de l'humaine condition en prenant son existence à rebours. « À contre-vie », dans une sorte de posture ou de geste testamentaires. L'extrême économie des textes de Beckett des deux dernières décennies est donc une économie de l'extrême. Là où la vie ne saurait plus être, selon une expression de Solo, qu'un « moins à mourir ».

Dans sa radicalité, Beckett, cet écrivain qui, en adoptant le français, entendait « s'appauvrir encore davantage », détruit les formes canoniques de la littérature, bouscule les frontières entre les genres et même entre les modes – épique, lyrique et dramatique. À partir de La Dernière Bande – soliloque d'un sexagénaire entièrement occupé à réécouter, d'anniversaire en anniversaire, d'anciens enregistrements de lui-même – commence de se produire chez Beckett une confluence du théâtre et de la prose qui sera totale à la fin de sa vie. Pièces comme Pas moi (1971), Solo, Cette Fois, si proches d'un roman soliloqué comme L'Innommable, où l'on n'entend plus que la ou les voix qui peuplent un même être. Ou bien récits largement oralisés, qui appellent le théâtre, que les metteurs en scène, depuis les années soixante-dix, ont souvent tendance – du Dépeupleur des Mabou Mimes à Premier Amour de Christian Colin, en passant par Compagnie de Daniel Zerki – à préférer aux pièces elles-mêmes. Parce que, selon eux, ces récits sont exempts des indications scéniques et de la théâtralité trop univoque qui bride des premières pièces.

Parcours somme toute mallarméen de la modernité (on relève le[...]

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Samuel Beckett - crédits : Rosemarie Clausen/ Ullstein Bild/ Getty Images

Samuel Beckett

<em>Fin de partie</em>, Samuel Beckett - crédits : Konrad Giehr/ picture alliance/ Getty Images

Fin de partie, Samuel Beckett

<em>En attendant Godot </em>de S. Beckett, mise en scène de George Tabori - crédits : Esch-Kenkel/ ullstein bild/ Getty Images

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