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AGNON SAMUEL JOSEPH (1888-1970)

L'universalisme d'Agnon

Sourcier et magicien de la langue et de l'âme hébraïques, Agnon ne reste toutefois ni prisonnier, ni dupe du microcosme juif dont il a su découvrir et décrire les charmes les plus secrets. À travers les héros, les récits et les thèmes d'un peuple particulier, l'œuvre d'Agnon prétend délibérément évoquer l'homme et ses problèmes éternels. Elle y réussit d'ailleurs parfaitement, grâce à une virtuosité artistique, dont la technique est mise au point dès le premier récit et qui ne cesse de s'affiner et de s'affirmer jusqu'à conférer à l'œuvre d'Agnon la portée largement universelle à laquelle le prix Nobel de littérature a légitimement rendu hommage.

L'un des aspects les plus visibles de cette technique réside évidemment dans le symbolisme des personnages et des situations qui dépasse résolument l'horizon provincialiste pour atteindre l'universel. Les grands romans d'Agnon ne sont pas de simples chroniques de l'épopée juive contemporaine. Ce sont des romans sociaux et réalistes, nés dans le terroir littéraire du Bildungsroman de la tradition néo-romantique allemande ou de La Comédie humaine de Balzac. Yudel-le-Hassid, Isaac Kumer, Sonia, autant de héros dont les psychologies et les aventures mènent du côté des Buddenbrocks ou de César Birotteau. Dans Haknassat Kalla ou Tmol Shilshom, le provincialisme ne possède, comme chez Ramuz ou Selma Lagerlöf, qu'un caractère instrumental, l'essentiel se découvrant dans la thématique qui est, elle, d'envergure nettement universelle.

Deux thèmes, au moins, préoccupent Agnon d'une manière constante et souvent obsédante : le thème de l'amour et celui de la misère. Habillant d'amour et de misère les personnages juifs les plus divers, éparpillés dans le temps et dans l'espace, Agnon a su évoquer, à travers l'habit, la permanence émouvante des amours et des misères de l'humanité humble et déshéritée. Dina et Ben-Ouri, les héros de la première nouvelle d'Agnon, Agounot (Les Abandonnées), Myriam et Raphaël dans Aggadat Hasofer (La Légende du scribe), Hirschl et Bluma dans Sippour Pashout (Un simple récit), le médecin et Dina dans Harofé Ougeroushato (Le Médecin et sa divorcée), Jacob et Shoshana dans Shevouat Emounim (Le Serment d'alliance), autant de couples incarnant l'amour qui, pour Agnon, possède une sorte de dynamisme mystique et rédempteur, un peu comme dans le thème de Faust et de Marguerite. Les blessures, les séparations, les divorces, les catastrophes qu'Agnon connaît, analyse, décrit et conjure, sont, en fin de compte, récupérés, rédimés, rachetés, dépassés par l'invincible jeunesse de l'amour. Quant aux héros de la misère sociale, ils sont innombrables dans l'œuvre d'Agnon, et se situent souvent du côté des Misérables de Victor Hugo, dont l'univers rédemptionnel présente tant d'affinités avec le monde hassidique où Agnon campe ses héros. Mais c'est essentiellement la misère souriante, la naïveté réduite aux seules armes de l'humour qu'Agnon décrit dans ses romans, et les personnages qu'il fait vivre sont membres de la confrérie des grandes figures que Cervantes, La Fontaine, Cholem Aleikhem, Bertolt Brecht ont créées en littérature, Marc Chagall dans l'art, et Charlie Chaplin au cinéma.

Au-dedans de ce symbolisme des thèmes et des héros, il y a toutefois, chez Agnon, un symbolisme plus profond et plus diffus, dont la technique confère à l'ensemble de son œuvre un caractère presque ésotérique. On a l'impression de se mouvoir constamment sur deux plans, celui de la réalité et celui du rêve, qui interfèrent sans que puisse être décelée la loi interne de leur gravitation. Tout se passe comme si le temps et l'espace étaient lancés à la dérive, sans repères[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de l'université de Strasbourg

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Média

Samuel Joseph Agnon - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

Samuel Joseph Agnon

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