RICHARDSON SAMUEL (1689-1761)
L'analyste des cœurs
Richardson adopte la technique épistolaire qui permet l'analyse en profondeur des motivations, des erreurs de point de vue et des difficultés qui naissent de l'instabilité des relations humaines. Cette technique convient, par ailleurs, fort bien au protestant qu'est Richardson et à son public. Celui-ci est constitué non seulement des petits-bourgeois, de leurs femmes et de leurs filles, mais il groupe aussi tout un petit peuple auquel la lecture était faite à haute voix : villageois, artisans, petits commerçants, tous protestants se soumettant naturellement à l'examen de conscience, et pour lesquels les problèmes moraux sont des réalités vécues.
Le schéma de ses romans est simple, mais les détails en sont très complexes. Les héroïnes de ces histoires sont entraînées dans un imbroglio d'aventures et de tromperies. Pamela est une servante qui doit subir les assauts d'un maître libertin, Mr. B. Ayant reçu une forte éducation morale, elle résiste à tous les pièges que tendent Mr. B. et l'entourage qui est à sa solde. Éclairé par cette inébranlable vertu, le maître, non seulement abandonne ses noirs desseins, mais propose le mariage à Pamela. Après de nouvelles péripéties, celle-ci accepte. Dans une seconde partie, Pamela, mariée et mère, résout de nouveaux problèmes (tentation de l'adultère, éducation des enfants). Mais la sécheresse d'un bref résumé ne rend pas compte du subtil cheminement de l'amour qui triomphe de la pudeur de Pamela et des préjugés sociaux de son époux. Le conflit central est en effet celui qui oppose d'une part les valeurs morales et d'autre part les préjugés, les interdits et les désirs de promotion sociale. Merveilleuse histoire que celle d'une servante qui pénètre dans le monde de la gentility qu'elle mérite par sa grandeur morale, celle aussi d'un aristocrate à qui l'amour et la vertu apprennent que tabous et préjugés ne pèsent rien en regard du bonheur personnel qui lui est donné sur terre par l'amour de Pamela et lui est aussi promis au ciel par la rectitude d'une vie désormais réglée par « l'incomparable Pamela ». C'est le roman de la vertu récompensée sur la terre comme au ciel.
La vertu de Clarissa Harlowe ne sera récompensée que dans l'au-delà, et les conversions qu'elle opérera ne seront obtenues que par le sacrifice de sa vie. La technique de Richardson atteint ici la perfection dans la subtilité et la précision des plus faibles pulsions. L'intrigue importe moins que les analyses d'états d'âme. Clarissa, que sa famille destine à un médiocre, est poursuivie par le roué Lovelace. Pour sauver son frère du courroux de ce dernier, elle est amenée à correspondre avec lui. Prise au piège, elle tombe en son pouvoir. Après maintes aventures, elle est violée. Le talent de Richardson éclate dans la transfiguration de Clarissa, qui, sur son lit de mort, édifie tout le monde.
Quant au dernier roman, on s'accorde, à juste titre, à le trouver moins bon. Richardson y quitte la bourgeoisie pour la petite noblesse et s'avance sur un terrain moins sûr. Sir Charles sauve la belle Harriet Byron d'un rapt : ils tombent amoureux. C'est alors que se greffe l'épisode italien. Avant d'épouser Harriet, sir Charles retrouve en Italie Clementina qui avait pris son cœur. Heureusement, la catholique italienne ne veut pas épouser un protestant et libère sir Charles !
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Écrit par
- Jean DULCK : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média
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