COLERIDGE SAMUEL TAYLOR (1772-1834)
Œuvres fantastiques
Dans ses œuvres fantastiques, l'imagination de Coleridge organise la métamorphose réciproque des formes et des idées. Le désespoir, la hantise des crimes d'impulsion, où la faute naît de la culpabilité plus qu'elle ne la produit, animent cet univers placé sous le signe de l'errance et de la dualité. Dans The Wanderings of Cain (Caïn errant, 1798), la reprise du mythe biblique porte Coleridge au seuil de l'onirisme. Abel et Caïn, bannis l'un de la vie, l'autre du monde des hommes, s'interrogent sur les rapports entre le Dieu des morts et le Dieu des vivants. De même le périple halluciné de The Rime of the Ancient Mariner (Le Dit du vieux marin, 1798) affronte les problèmes de la dualité et du mal dont le héros est porteur et victime. Ayant tué sans raison un albatros, qu'il retrouve suspendu à son cou, le vieux marin, approuvé puis maudit par ses compagnons, subit les épreuves de la soif, de l'immobilité et du mouvement sans cause, puis les terreurs de l'inexplicable survie solitaire. Après que deux puissances (Vie dans Mort et Mort dans Vie) eurent joué son âme aux dés, le vaisseau s'anime d'une vie spectrale. Enfin le marin, mystérieusement ému, béni par la bénédiction qu'il donne aux bêtes horribles qui grouillent sur la mer pourrissante, est ramené au pays par ses compagnons morts qui s'affairent en une parodie de résurrection. Sur terre, il retrouve son errance et sa malédiction : il devra à jamais conter son histoire et rappeler les « invités de la noce » à l'existence menaçante d'un autre monde, cruellement moralisé. Nouveau Caïn et nouveau Juif errant, ce personnage, voué à la passivité jusque dans la fascination qu'il exerce, reste une âme sans vouloir, projection ambiguë d'une pluralité d'angoisses. Le banni solitaire porteur d'une morale positive (aimer sauve) garde secrètement la marque du damné sans parvenir jamais à la clarté du châtiment.
Le symbolisme du voyage donne à son aventure l'aspect d'une incompréhensible parabole. L'exotisme lui-même s'y métamorphose : quêtes et fuites sont resituées dans la perspective, non pas de la découverte d'un monde, mais d'une série d'épreuves dont la signification « allégorique » se manifeste sans qu'on parvienne à la cerner. Le caractère fuyant mais pesant de cette allégorie énigmatique fait que le sens patent ou latent des symboles importe moins que leur violence imaginaire comme plus tard chez Kafka ou Lautréamont. À travers une abrupte succession de cadres et d'épisodes infernaux vacillant aux limites d'un univers de la cruauté où l'intensité des sensations et des forces élémentaires préfigure l'expressionnisme, l'imagination s'oriente, comme fera plus tard la littérature du rêve, vers la résurrection rituelle des visions d'enfer.
Christabel (long fragment, rédigé en 1798, publié en 1817, mais que Coleridge travaille encore en 1834) reprend les thèmes de l'hospitalité dangereuse et sainte, de la laideur et de la contagion du mal ou de la haine dans une atmosphère moins sublime, empruntée elle aussi aux ballades médiévales. L'opposition, apparemment claire, entre Christabel, fille pure, et Géraldine, maîtresse impure, est bientôt prétexte à une évocation horrifiée de la chair telle que la vision de cauchemar semble sournoisement satisfaire le désir. L'audace (c'est une des premières représentations de l'amour lesbien) révèle une terreur de la féminité exprimée presque à nu dans ce poème, brutalement interrompu, qu'éclaire en conclusion une apologie de la pureté enfantine.
Pour leur part, les poèmes de conversation mêlent subtilement la confidence lyrique, la méditation d'apparence improvisée et la nostalgie des heures creuses et tendres.[...]
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Écrit par
- Paul ROZENBERG : professeur à l'université de Paris-VII
Classification
Média
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