COLERIDGE SAMUEL TAYLOR (1772-1834)
De l'expérience poétique à la vision organiciste
La pensée théorique fut surtout, on le voit à la lecture de ses poèmes, un effort pour enraciner l'imaginaire et lutter contre l'envahissement de cette « métaphysique du cauchemar » vers quoi il se sentait entraîné. Plus il s'enfonce dans ses hantises, plus il tente de penser la vie. Son rêve d'une logosophie qui opérerait la réconciliation entre philosophie et religion ne devait jamais prendre corps. En fait, bien qu'il traite chaque idée, perception ou symbole comme le germe d'une systématisation possible, sa pensée ne réalisera jamais l'ambition du système. Toutefois l'inachèvement de son œuvre ne compte guère face au maintien d'une aspiration à l'unité vivante que concrétise chez lui l'approche organique dont devaient naître les images clés de la science et de la culture de notre temps. Comme tous les romantiques, Coleridge œuvre à un élargissement du champ de la raison qu'il serait faux de confondre avec une apologie de l'irrationnel. Lui-même parlait avec mépris de « ces systèmes inventés dans l'intention avouée d'apprendre aux gens à penser et qui ne sont que l'art d'enseigner à penser sans pensée ».
Il procède constamment (qu'il s'agisse de méthode ou de biologie) par distinction dualiste de facultés et de niveaux implicitement hiérarchisés que sous-tend la valorisation du vital et du spirituel. Ainsi oppose-t-il allégorie et symbole, imagination secondaire et primaire, entendement et raison, civilisation et culture, analogie d'agrégation et analogie unifiante. De même il tente de dépasser sans les abolir la classification des genres et l'esthétique du goût en célébrant le sublime, la profondeur, le génie, seuls aptes à faire surgir et à ordonner l'irrationnel grâce aux forces « protoplastiques », à « dompter le chaos ». Telle est pour lui la puissance de la poésie dont la mission n'est pas d'enseigner le bonheur mais de faire naître une forme de liberté : « L'évocation des images est la première énergie qui désensualise l'esprit obscur en lui apportant des joies nouvelles. » Alors que la fantaisie assemble sans fondre, l'imagination au sens fort non seulement unifie et hiérarchise les facultés dans l'âme du poète, mais aussi révèle la présence de la totalité dans le fragmentaire. Ainsi vient-elle à « répéter dans le moi fini l'acte éternel du Je suis infini ». L'œuvre – révélation et création tout à la fois – requiert pour sa lecture « un renoncement consenti à l'incroyance qui constitue la foi poétique » : elle vaut dans la mesure où, dépassant le codé et le transposable, elle s'élève au symbole qui participe de l'essence de l'objet évoqué et de l'expérience de sa découverte. Par ce processus, l'imagination se révèle être l'activité créatrice de la raison. Poésie et connaissances sont un : « Les règles de l'imagination ne sont autres que les pouvoirs de croissance et de production. » Passant outre aux interdits kantiens, il fait du symbole l'intuition de la dynamique du réel : « La poésie est la floraison et le parfum de toute connaissance humaine » (Biographia Literaria, 1817 ; Anima Poetae, publié en 1895).
Adaptant à d'autres domaines la quête des dynamismes révélés par la création littéraire, Coleridge s'efforce d'élaborer une psychologie également orientée vers la totalité et fondée sur la fécondité de l'inconscient. De même, sa théorie de l'État et de la culture oppose la réalité des fins sociales aux errements de la civilisation (le terme est pour lui péjoratif). Il croyait à l'émergence d'une caste de clercs (l'Église, par opposition aux églises qui ne sont que le succédané mécanique[...]
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Écrit par
- Paul ROZENBERG : professeur à l'université de Paris-VII
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