SAN GUO ZHI YANYI
Le San Guo zhi yanyi ou Amplification de la chronique des Trois Royaumes, élabore une matière traversée dès l'origine par un souffle épique. Il mérite la première place, celle que revendique l'œuvre du xive siècle parachevée au xviie siècle, sans pour autant prétendre être la meilleure de la littérature d'imagination. En effet, il n'est pas de thème qui ait exercé depuis aussi longtemps un aussi puissant attrait sur les esprits que ces luttes de personnalités d'exception de 184 à 280, au moment où la Chine déchirée s'offrait aux ambitions guerrières. Le pouvoir, naguère disputé par les eunuques et les lettrés, se trouve désormais au bout de la lance-hallebarde. Mais la conjonction de l'audace et de la prudence ne peut rien sans la volonté du Ciel. Les voies obscures de sa justice laissent triompher la force du nombre : dans la rivalité qui oppose les Trois Royaumes affichant tour à tour des prétentions impériales, de 220 à 229, celui de la « légitimité », Shu Han, sera le premier à succomber (262). Peut-être est-ce là qu'il faut chercher la fortune du thème, dans cette atmosphère tragique, proscrite de la littérature « officielle », mais moins rare qu'on l'a dit dans les œuvres anciennes proches de la veine populaire. L'expression d'aspirations que la réalité rend impossible à satisfaire avait de quoi toucher un large éventail de catégories sociales. Depuis plus de mille ans, que ce soit sous une forme dramatique, narrative ou picturale, les héros légendaires des Trois Royaumes n'ont cessé de marquer l'enfance des Chinois, y compris celle de Mao Zedong, qui dissimulait ces lectures interdites sous les livres d'école primaire. Rebelles ou conquérants ont puisé dans le roman des leçons de stratégie militaire. La vieillesse y apprend la cautèle, comme le rappelle le dicton : « Jeune ne lis le Shui hu, âgé le San Guo. » Bien que ce roman-fleuve soit venu à bout de la patience de la plupart de ses traducteurs, le lecteur étranger ne saurait rester insensible à ses sortilèges. D'où vient une popularité telle qu'en 1925 H. Maspero écrivait encore que « tout Chinois a lu, lit et lira » cette œuvre « autant que durera la Chine ».
Entre l'histoire et l'épopée : le problème des origines
Dans la tradition occidentale, l'histoire se prête naturellement à l'amplification rhétorique de la narration continue. Il en va tout autrement en Chine où l'historien s'applique d'abord à classer, ordonner et filtrer les documents rassemblés. La « façon » épique est reléguée en marge de la « bonne » littérature. Cependant La Chronique des Trois Royaumes, œuvre de Chen Shou (233-297), trahit déjà l'influence de ce genre méprisé ; par exemple, Liu Bei a les mains qui lui tombent au-dessous des genoux, les yeux qui peuvent voir ses propres oreilles. Par là Chen Shou révèle l'attachement qui le lie encore à Liu Bei, fondateur de Shu Han, bien qu'il ne lui accorde que quinze chapitres contre vingt à Wu et trente à Wei qu'il a servi et qu'il tient pour le successeur légitime des Han. Les riches annotations insérées par Pei Song vers le milieu du ve siècle ne font que renforcer ce double aspect. Depuis le ixe siècle au moins, les épisodes du San Guo zhi fournissaient le thème de spectacles familiers aux enfants. On sait qu'au xie siècle les récits de la « triple division », c'est-à-dire des Trois Royaumes, constituaient une spécialité des conteurs professionnels « expliquant l'histoire », jiang shi. Diverses allusions permettent de conclure que la distribution entre les bons, le camp de Liu Bei, et les mauvais, celui de Cao Cao, des Wei, était alors chose faite. Zhu Xi (1130-1200), le fondateur de l'orthodoxie néo-confucéenne, s'est peut-être sur ce point conformé[...]
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Écrit par
- André LEVY : professeur à l'université de Paris-VII, responsable de la section d'études chinoises à l'université de Bordeaux-III
Classification
Autres références
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TROIS ROYAUMES LES & DYNASTIES DU NORD ET DU SUD LES (220-589), Chine
- Écrit par Pierre-Étienne WILL
- 993 mots
- 2 médias
Les appellations de Trois Royaumes et de Dynasties du Nord et du Sud (respectivement sanguo et nanbeichao) s'appliquent à la période de fragmentation de la Chine allant de 220 à 589. Héritage de la désagrégation des Han, la division tripartite du début oppose le Wei (220-265) en Chine du Nord...