SANCTUAIRE, Grèce hellénistique et Rome antique
Les vestiges les plus suggestifs qui émergent aujourd'hui des grands sites archéologiques sont souvent des temples. D'Athènes à Pergame, de Nîmes à Agrigente, c'est d'abord vers eux que le voyageur oriente ses pas. Mais que comprenons-nous, par-delà les appréciations esthétiques ou techniques, de ces structures souvent ruinées ou isolées de leur contexte ? Il est difficile, dans l'état où nous les trouvons, et plus encore en raison de la distance qui nous sépare des hommes pour lesquels elles ont été construites, de saisir leur aspect véritable et leur fonction précise. Nous avons quelque peine à imaginer qu'en de telles constructions les colonnes et les volumes, les espaces et les circuits sont tributaires de rites constitutifs et d'impératifs religieux. Aussi importe-t-il, pour leur rendre vie, d'analyser sans jamais les dissocier les architectures et les liturgies.
Temples et sanctuaires à l'époque hellénistique et dans le monde romain
L'époque hellénistique
Au cours des trois siècles qui séparent la mort d'Alexandre du début du Principat augustéen (323-27 av. J.-C.), l'essor du système monarchique en Grèce et en Asie Mineure, qui consacre la disparition des vieilles unités poliades (centrées sur les villes), la circulation accrue des hommes, des idées et des formes à travers toute la Méditerranée, le développement de la réflexion philosophique, qui favorise dans les groupes dirigeants la diffusion de l'agnosticisme ou de l'indifférence à l'égard des cultes traditionnels, la popularité croissante des oracles auprès de la masse du peuple composée de sujets et non plus de citoyens sont les facteurs ou les résultantes d'une profonde mutation sociale et culturelle, dont on conçoit sans peine que les conséquences sur la conception même des espaces et des monuments religieux seront décisives.
L'évolution des formes
Sans introduire de rupture véritable avec la fin de la période classique, les principales tendances de l'époque hellénistique dans les domaines formel, fonctionnel et urbanistique peuvent se définir ainsi : du point de vue de la morphologie, d'abord, c'est, en premier lieu, une désaffection très nette à l'égard des grands temples périptères, qui constituaient depuis la période archaïque la création la plus durable et la plus spécifique de l'architecture grecque. Si l'on construit encore au ive siècle des édifices de ce genre, soit en milieu urbain, comme le temple d'Athéna à Priène, soit dans les grands sanctuaires panhelléniques comme à l'Artémision d'Éphèse, les nouvelles fondations se font beaucoup plus rares aux iiie et iie siècles avant J.-C. ; elles s'expliquent en général par une recherche éclectique et archaïsante, ou par le désir d'intégration dans une tradition cultuelle ancienne, comme on l'observe aux Asklépiéia de Messène ou du Cos, pour lesquels le grand temple d'Épidaure représentait une référence obligée. Mais il s'agit d'exceptions peu significatives. La décadence irréversible du modèle classique est due pour l'essentiel à ce qui faisait jadis son prestige : d'une part son autonomie plastique, qui le désigne comme une entité monumentale à vocation dominatrice ; d'autre part la rigueur de son ordonnance qui enferme la moindre de ses composantes dans un ensemble clos infrangible. Ces cadres trop rigides doivent être brisés pour permettre l'insertion des édifices dans des compositions plus complexes, mais aussi plus souplement articulées.
La seconde tendance, qui n'est qu'en apparence contradictoire avec la précédente, consiste à envisager désormais les temples comme des constructions auxquelles s'appliquent, plus qu'à aucune autre, des normes formelles rigoureuses. Certes, la création du système modulaire défini par le[...]
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Écrit par
- Pierre GROS : chaire de civilisation et archéologie romaines à l'Institut universitaire de France, université de Provence-Aix-Marseille-I
- John SCHEID : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)
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