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WEÖRES SÁNDOR (1913-1989)

Les expériences poétiques

Selon Weöres, ce n'est pas en affirmant hautement son originalité que le poète acquerra sa voix propre, mais à travers l'imitation et la contrainte. Le poète doit s'exposer aux difficultés et aux influences les plus diverses pour se libérer des automatismes et des conventions et former ainsi progressivement sa propre écriture. C'est la curiosité éveillée qui fait le poète, non pas la volonté romantique d'être différent. La carrière poétique de Weöres, jalonnée de recherches et d'expériences, fut souvent – surtout à l'époque stalinienne – mal interprétée par la critique qui l'accusait de formalisme. C'est oublier que, chez lui, le jeu n'est jamais gratuit puisqu'il n'est pas un but mais un moyen : il s'inscrit dans le projet ambitieux de conquérir à la poésie tout ce qui lui est propre. Weöres avoue lui-même, dans une lettre datée de 1943, le mal qu'il eut à proscrire de la poésie tout sujet et tout thème que l'on pourrait aussi bien traiter en prose. Par conséquent, si Weöres traduit des textes hindous et des poèmes surréalistes, s'il pastiche des poètes anciens, s'il fait des jeux de mots et des expériences d'automatisme verbal, s'il s'astreint aux strophes et aux rimes les plus complexes, s'il écrit l'histoire de la littérature d'un peuple imaginaire, c'est toujours avec l'intention d'assouplir, d'enrichir le langage et d'élargir le champ de l'imagination poétique. C'est sans doute grâce à ces expériences que l'œuvre de Weöres présente un très haut degré de musicalité et un tableau à peu près complet des possibilités de la versification hongroise.

Toutefois, la recherche de la variété et l'exubérance ne sont pas uniquement motivées par des considérations formelles et esthétiques ; elles s'expliquent par une certaine vision du monde. Selon Weöres, il faut embrasser toutes les formes afin de devenir sensible à ce qui les dépasse. Il faut connaître la diversité parce que, en dernière analyse, elle n'existe pas ; elle n'est là que pour révéler ce qui se trouve derrière les apparences mais qui serait inconnaissable sans celles-ci. Les phénomènes cosmiques et biologiques, ceux de la nature et de la vie sont, dans leur imperfection mortelle, notre seule voie d'accès à la réalité inchangeable. Les phénomènes, dans un vaste mouvement dialectique, se complètent et se détruisent ; mysticisme et érotisme, âme et chair, jouissance et nausée, beauté et laideur sont les formes perceptibles et les faces périssables du réel immuable et inconnaissable. Nos concepts sociaux et culturels veulent fixer à jamais ces formes apparentes : tentative dérisoire. Il faut se libérer des concepts et essayer de retrouver ce que Weöres appelle l'« évidence ». De nos jours, seuls les enfants vivent encore tant soit peu dans l'évidence (en hongrois, Weöres a écrit les meilleurs poèmes pour enfants au xxe siècle !), l'adulte est l'esclave des automatismes conceptuels.

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Écrit par

  • : docteur de l'université de Leyde (lettres), professeur titulaire de littérature française moderne à l'université libre d'Amsterdam

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  • HONGRIE

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    ...l'élémentaire et du quotidien. Les poèmes d'Ágnes Nemes Nagy (1922-1991) dépassent le carcan politique et s'opposent clairement à la théorie romantique, tandis que Sándor Weöres (1913-1989), soucieux d'une recherche de musicalité, est un poète à l'imagination fertile, doté d'une force d'invention poétique...