BOTTICELLI SANDRO (1445-1510)
De la poésie pure à l'angoisse
Ligne et mouvement
En fait, dans la dernière partie de sa vie, à partir de 1490 environ, le caractère essentiellement linéaire du style de Botticelli s'accentue encore. Une calligraphie de plus en plus emportée répond à une inspiration de plus en plus fébrile. C'est la double évolution que montrent, après La Calomnie d'Apelle (vers 1490-1495), les panneaux illustrant L'Histoire de Lucrèce et celle de Virginie (vers 1499), puis les Scènes de la vie de saint Zénobe, qui proviennent sans doute d'un cassone. Avec la Calomnie, Botticelli reprend, une fois encore, un thème antique, celui d'un célèbre tableau d'Apelle décrit par Lucien, qu'Alberti avait évoqué dans son Traité de peinture. La composition tout entière est traversée d'un élan frénétique, élan qui, dans les compositions narratives ultérieures, se brise et se disperse en tourbillons multiples.
Crise mystique
L'univers de poésie pure qui était celui de Botticelli semble envahi alors par le tumulte et les troubles que suscitent à Florence la prédication de Savonarole, la fuite des Médicis en 1494, la condamnation et le supplice du moine quatre ans plus tard. Vasari affirme que le peintre adhéra au mouvement des piagnoni, les disciples de Savonarole. Au-delà du drame que fut pour lui le départ des Médicis, ses protecteurs de toujours, puis la mort de Savonarole sur le bûcher, il ressentit profondément l'angoisse morale, les déchirements qui étaient ceux de tous les Florentins. C'est alors qu'il peint, après la Pietà torturée de la Pinacothèque de Munich, la Crucifixion allégorique, où s'opposent, derrière la croix, un panorama ensoleillé de Florence, protégée par Dieu le Père, et un paysage infernal peuplé de démons dans des nuages de fumée. Vers 1500-1501, Botticelli donne enfin, avec la Nativité mystique, une vision d'espérance retrouvée. Au-dessus de la crèche se déploie une ronde d'anges portant des rameaux d'olivier et les couronnes destinées aux élus, tandis qu'en bas de la composition, d'autres anges accueillent « les hommes de bonne volonté » et les embrassent en signe de réconciliation. Dans le haut du panneau, Botticelli a placé une inscription, en lettres grecques, qui éclaire la signification du tableau et l'intention du peintre : « Ce tableau a été peint par moi, Sandro, à la fin de l'année 1500, pendant les désordres d'Italie, dans la moitié du temps après le temps, selon le chapitre xi de saint Jean, dans la seconde douleur de l'Apocalypse, lorsque Satan fut déchaîné sur la terre, pour trois ans et demi. Puis selon le Cantique XII, il sera de nouveau enchaîné et nous le verrons foulé aux pieds comme sur ce tableau. »
Les dessins
Parallèlement à ces dernières œuvres, d'une inspiration exaltée, Botticelli exécute, avec les peintres de son atelier, les nombreux tableaux de dévotion que réclame la piété populaire sensibilisée par la prédication et la mort du dominicain. En même temps, Botticelli achève les dessins de la Divine Comédie, que lui avait commandés, sans doute dès 1482, Lorenzo di Pierfrancesco. La comparaison avec les peintures réalisées à partir de cette date semble indiquer que les dessins pour L'Enfer ont été exécutés d'abord, tandis que, dans les illustrations du Purgatoire et du Paradis, des rapprochements peuvent être établis avec certains détails d'œuvres comme la Pietà ou la Nativité mystique. Les visions surgissent d'un espace totalement dématérialisé. Libéré des règles de la perspective et de la composition picturale, le peintre s'abandonne au pouvoir magique de la ligne, à la subtile cadence du graphisme pur, et fait naître, au-delà des références littérales au poème, l'illusion et l'extase.
Il semble avoir achevé sa vie dans l'isolement,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE : critique d'art
Classification
Médias
Autres références
-
APELLE (IVe s. av. J.-C.)
- Écrit par Adrien GOETZ
- 2 450 mots
- 1 média
La Calomnie de Botticelli, la plus célèbre des œuvres qui s'inspirent de la description de Lucien, réalise l'inverse de l'ekphrasis antique. La transposition d'art traditionnelle, dont la description par Homère du bouclier d'Achille constitue le modèle, se veut en effet description... -
ENSEIGNEMENT DE L'ART
- Écrit par Annie VERGER
- 16 115 mots
...perspective la rapprochent de la géométrie, la connaissance médicale du corps rejoint l'anatomie, etc. Vers 1500, et sans doute dans l'atelier de Botticelli, se concrétise la transformation du centre d'apprentissage en lieu d'enseignement, sous la forme de cénacles. L'artiste prend conscience de... -
ESSAIS FLORENTINS, Aby Warburg - Fiche de lecture
- Écrit par Martine VASSELIN
- 1 207 mots
- 1 média
Les Essais florentins sont des travaux publiés en allemand entre 1893 et 1920. Les premiers portent sur les célèbres tableaux mythologiques de Botticelli, Le Printemps et La Naissance de Vénus, que Warburg soumet à un triple éclairage : par la recherche de leurs sources littéraires antiques et modernes... -
GOÛT, esthétique
- Écrit par Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE
- 4 590 mots
- 1 média
...foisonnante de curiosités et d'inventions, il faut seulement éviter le risque de confondre les courants majeurs de l'histoire de l'art et les fluctuations du goût : pour les Médicis,Botticelli peignait Vénus, Mercure, La Primavera et, pour la haute bourgeoisie florentine, des tableaux de dévotion. - Afficher les 9 références