SANS FILTRE (R. Östlund)
On dit souvent d’un film qu’il divise la critique. Après The Square, palme d’or en 2017 au festival de Cannes, Sans filtre (Triangle of Sadness), également palme d’or 2022, a provoqué une seconde fois à propos de Ruben Östlund une réaction allant du franchement négatif (dans la mouvance du Monde et des Cahiers du cinéma) au plus nuancé « pour et contre » (Télérama ou Bande à part). Si la maîtrise technique et esthétique d’Östlund est reconnue, en revanche, pour certains, la thématique du « jeu de massacre », privilégiée par le metteur en scène, ne passe pas.
Un film choral
The Square s’en prenait à un certain art contemporain. Sans filtre élargit la cible en mettant à mal des personnages à la mode, influenceurs, profiteurs, escrocs, toute une classe dite « dominante ». Le thème est dans l’air du temps. Mascarade (2022) de Nicolas Bedos, loin de rassembler un consensus critique, n’a pas provoqué toutefois le même rejet que le film d’Östlund : faut-il y voir un chauvinisme inavoué ? La série télévisée de Mike White, The White Lotus (2021), est également très proche : elle isole dans un hôtel de luxe une clientèle privilégiée dont les moins favorisés ne récoltent que les miettes. L’inversion des données sociales a depuis longtemps fait ses preuves, en littérature et ailleurs : il y eut ainsi la pièce L’Île des esclaves (1725) de Marivaux et, pour en revenir au cinéma, celle de James Barrie (l’auteur de Peter Pan), L’Admirable Crichton (1902), souvent portée à l’écran. La meilleure de ces adaptations était muette : dans Male and Female (1919) de Cecil B. De Mille, un groupe de « jetsetters » naufragés se retrouve sur une île déserte où les domestiques, et notamment le majordome Crichton, en viennent à occuper la position dominante grâce à leur expérience et à leur sens pratique.
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Écrit par
- Christian VIVIANI
: historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue
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Média