SANS TOIT NI LOI, film de Agnès Varda
À contre-courant
La construction du film relève de l'enquête et du puzzle. Agnès Varda décrit l'errance de son héroïne sans jamais s'apitoyer sur elle et en lui conservant une réelle opacité. Le film débute par un constat de gendarmerie et la découverte du corps de la jeune femme, apparemment morte de froid. Une voix off, celle de la cinéaste, énonce : « Personne ne réclamant le corps, il passa du fossé à la fosse commune. Cette morte de mort naturelle ne laissait pas de traces ; je me demande qui pensait encore à elle parmi ceux qui l'avaient connue petite ; mais les gens qu'elles avaient rencontrés se souvenaient d'elle. Ces témoins m'ont permis de raconter les dernières semaines de son dernier hiver, elle les avait impressionnés, ils parlaient d'elle sans savoir qu'elle était morte... »
Varda montre au départ Mona sortant de l'eau, où elle vient de se laver dans la mer. Le personnage est filmé en plan général, de très loin, comme une silhouette au fond du champ. Elle vient de nulle part. Le film refuse toute explication de type biographique ou psychologique. Un jour, Mona a décidé de faire seule la route et de ne jamais s'arrêter sous un toit. Le développement narratif va représenter, par une douzaine de travellings latéraux ponctuant tout le film, les longues marches de la routarde à travers les paysages d'hiver du Languedoc, aride et peu hospitalier, à contre-courant des images touristiques. La tenue de routarde de Mona va se dégrader au fil de ses déambulations, comme ses godillots qui rendent l'âme et ses cheveux qui se graissent. La cinéaste va s'efforcer de représenter visuellement la crasse et l'odeur nauséabonde. Elle insiste sur la détresse de son héroïne, mais aussi sur sa dureté, son intransigeance. Mona est celle qui dit non, reste farouche et ne doit pas être sympathique, même si elle est victime d'une violente discrimination sociale. Elle a choisi le silence et parle le moins possible, garde un visage dur, buté, fermé. C'est une résistante.
Agnès Varda mêle avec brio un scénario fictionnel et de nombreux éléments documentaires issus de ses conditions de tournage sur place. Elle utilise des acteurs professionnels, Sandrine Bonnaire, magistrale de vérité, et Macha Méril, mais les confronte à des amateurs et des figurants qui jouent leur propre rôle (les bergers, l'ouvrier marocain). Elle offre avec Sans toit ni loi une représentation radicale des mécanismes d'exclusion à l'œuvre dans la société sédentaire et normative. Elle prolonge cette analyse avec son enquête sur la récupération de la consommation effrénée avec Les Glaneurs et la glaneuse (2000). La routarde et la glaneuse sont les deux faces de l'exclusion.
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Écrit par
- Michel MARIE : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Autres références
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VARDA AGNÈS (1928-2019)
- Écrit par René PRÉDAL
- 946 mots
- 1 média
Née le 30 mai 1928 à Bruxelles d’une mère française et d’un père grec, Agnès Varda passe son enfance à Sète puis étudie la photographie et l’histoire de l’art à Paris. Amie d’enfance de l’épouse de Jean Vilar, elle devient photographe du TNP, enregistrant tout, des maquettes audio aux répétitions et...