Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SANTÉ ET ENVIRONNEMENT

Les peurs diffuses pour la santé

En discutant les effets objectifs de l'anthropisation de l'environnement sur la santé, on est passé des effets aigus sur la santé à des effets étalés dans le temps par modification de l'environnement et, au-delà, aux effets incertains de la pollution sensu lato. Une des conséquences importantes, beaucoup plus prégnante que la peur de l'accident, est la crainte qui s'exprime vis-à-vis de l'environnement le plus immédiat de l'homme – c'est-à-dire l'eau, l'air et l'alimentation –, infiltré par des substances liées aux activités humaines. Certains de ces risques ne sont pas établis, par exemple l'exposition aux ondes hertziennes, ce qui n'interdira pas de les tenir pour certains dans de nombreux articles, et pour plausibles au nom d’un principe de précaution élargi. D'autres ne sont objectivés qu'à des doses très supérieures à l'exposition réelle d'une vie d’homme. En tout cas, les substances introduites dans les productions agroalimentaires, pour leur conférer soit une stabilité accrue, soit une apparence agréable, et leurs appellations ésotériques, inquiètent et sont devenues une cible régulière des associations de consommateurs.

On ne peut pas nier l'importance des doutes sur la qualité de la nourriture, de l'air et de l'eau. L’expansion de l’agriculture et de la nourriture « bio » en est une conséquence. On peut répondre aux risques objectifs, cernés par une réglementation ou une interdiction, et ajuster l'exposition à ces facteurs environnementaux à un niveau de risque acceptable tant pour les individus que pour la société. C'est souvent le non-respect de normes qui est à l'origine d’accidents. Il est plus difficile de gérer des risques inconnus associés à une peur diffuse d'autant plus à ce niveau que ces nouveaux facteurs de risque, réels ou non, sont inhérents au mode de vie et de consommation des sociétés occidentales, dont la remise en cause impliquerait de profonds bouleversements, notamment économiques et politiques.

On est ainsi passé d'une assez bonne connaissance des risques liés à des agents toxiques connus, à la difficile gestion de l'inquiétude d'être exposé à des risques imprécis et diffus dont l'aboutissement supposé est renvoyé dans un futur lointain. Cette perception, qu’amplifie la dénonciation de certaines méthodes du lobbying industriel, tend à prendre le pas sur une approche rationnelle par expertises successives. Ne se trouve-t-on pas ici au point d'une extension vers l'absurde du principe de précaution, ou du moins au point critique dans l'évaluation des risques par rapport aux bénéfices, et cela d'autant qu'une sorte de risque zéro, par essence inatteignable, est devenue une exigence constante de la population ?

Cette situation est-elle le fruit d'une crainte illusoire ou de la recherche d'une utopique absence de maladie ? Le paradoxe est que, face à ces craintes diffuses mais actives, l'espérance de vie de la population française a augmenté régulièrement et est passée depuis les années 1950 de 69,2 à 85,6 années en 2019 pour les femmes et de 63,4 à 79,8 années pour les hommes. Encore faudrait-il considérer avec précision l’état de santé associé à cette espérance de vie accrue. Et l’on ne saurait conclure que la santé en Occident n'est pas menacée à terme par des risques que l'on ne peut (ou ne sait) pas véritablement cerner, l’un étant la décroissance de la fertilité humaine, par exemple, un autre la pandémie de Covid-19 : les chiffres provisoires d’espérance de vie de 2020 tombent respectivement à 85,3 et 79,2 ans.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur

Classification

Médias

Bouleau en fleur - crédits : Katafei/ Shutterstock

Bouleau en fleur

Intoxication au mercure, Minamata (Japon) - crédits : W. Eugène Smith/ D.R.

Intoxication au mercure, Minamata (Japon)

Cerf et biches - crédits : M. Gorpenyuk/ Shutterstock

Cerf et biches

Autres références

  • AGRICULTURE BIOLOGIQUE

    • Écrit par , et
    • 7 882 mots
    • 6 médias
    Un des fondements de la gestion sanitaire, des plantes comme des animaux, est de renforcer le système immunitaire et les défenses naturelles des organismes et de l’agroécosystème.
  • ASTHME ET IMMUNITÉ INNÉE

    • Écrit par
    • 2 490 mots
    • 1 média
    On voit ainsi apparaître la nécessité de retrouver des caractéristiques biologiques de l’organisme liées à un environnement dit « naturel » qui existait et qui a disparu ou s’est appauvri avec le mode de vie occidentalisé fortement teinté d’hygiénisme. Il reste bien entendu nécessaire de réduire...
  • BISPHÉNOL A

    • Écrit par
    • 828 mots

    Le 4,4-isopropylidènediphénol, dit bisphénol A (ou BPA), et d'autres molécules apparentées sont largement utilisés dans l'industrie agroalimentaire pour tapisser l'intérieur d'emballages, dans les films à usage alimentaire, dans les biberons, mais aussi pour les papiers thermiques comme révélateur de...

  • BROUILLARDS

    • Écrit par
    • 4 273 mots
    • 3 médias

    Le brouillard est une suspension de très petites gouttelettes d’eau recouvrant les paysages sous la forme d’un voile, le plus souvent blanchâtre, qui réduit fortement la visibilité. Il tend à être grisâtre lorsqu’il est peu dense, et à prendre une faible coloration lorsqu’il est associé à des particules...

  • Afficher les 21 références