SANTÉ PUBLIQUE
Dès que l’historien dispose de sources suffisamment précises, il perçoit que toutes les civilisations ont tenté de protéger la vie humaine, à partir de visions différentes – historiquement situées – de la vie, des corps et des éléments qui conditionnent la santé individuelle et collective du groupe.
Les épidémies qui, depuis la nuit des temps, font partie de l’histoire de l’humanité, jouent un rôle structurant. En fonction de chaque cadre de pensée, des mesures de protection ont ainsi été mises en place afin de leur échapper. Qu’il s’agisse de variole, de typhus ou de peste, l’histoire de l’Occident a retenu, sous l’appellation unique de peste jusqu’au xviiie siècle, une succession de pandémies redoutables : la peste d'Athènes (430-426 av. J.-C.), la peste antonine (165-166), la peste justinienne (541-767), la peste noire (1347-1352), la fièvre jaune (fin du xviiie et début du xixe en Europe), le choléra (1831-1892), la grippe espagnole (1918-1919), la grippe asiatique (1956-1958), la grippe de Hong Kong (1968-1970), le sida (depuis 1981), la Covid-19 (2020-2022)...
Lors de chacune d’entre elles, le nombre de décès est considérable, réduisant parfois de 40 % la population, si bien que s’en prémunir constitue une priorité pour les cités, royaumes, puis les États modernes. Ces formes de protection se réfèrent nécessairement à des visions partagées du monde et des maladies. Si on se limite aux sociétés occidentales, l’influence des théories médicales d’Hippocrate et de Galien est considérable au moins jusqu’au milieu du xixe siècle. Ces deux médecins de l’Antiquité détaillent les manières de maintenir le corps en bonne santé ; leurs visions des maladies et de leur origine inspirent les politiques jusqu’à l’avènement de la microbiologie. On ne peut oublier, tant elles sont restées spectaculaires, les réalisations de l’Empire romain quant à l’adduction d’eau, à la mise en place d’égouts et de bains publics.
Avec ces équipements, il est évident que l’on est déjà dans le domaine de la santé publique, même si les définitions qui en ont été données au cours du xxe siècle ont évolué. On doit certainement à Charles-Edward Winslow (1877-1957) celle qui convient le mieux à une démarche historienne : « La santé publique est la science et l'art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et de promouvoir la santé physique et l'efficacité, par le biais d'efforts collectifs organisés, et visant la salubrité de l'environnement, le contrôle des infections communautaires, l'éducation des individus à l'hygiène personnelle, l'organisation des services médicaux et infirmiers pour le diagnostic précoce et la prévention de la maladie et le développement de l'infrastructure sociale qui assurera à chaque individu de la communauté un standard de vie adéquat pour se maintenir en santé. » On y ajouterait volontiers aujourd’hui l'étude des déterminants physiques, psychosociaux et socioculturels de la santé de la population. Car la santé publique concerne d’abord des populations et non simplement des individus.
Une succession de paradigmes pour améliorer la santé collective
On a choisi de privilégier ici les moments de changements et de progrès intervenus dans les interventions publiques de protection de la santé des populations dans l’espace européen.
Le premier grand modèle est celui des dispositifs de protection contre la peste, en particulier au cours des décennies qui suivent l’arrivée de la grande peste en Europe (1347-1348) et de ses répliques jusqu’à la peste de Marseille de 1720.
Le deuxième apparaît avec le mouvement des hygiénistes qui ont relu Galien et tournent leur regard vers les conditions d’environnement des maladies, à l’intérieur des villages et des villes, en multipliant les topographies médicales et en insistant[...]
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Écrit par
- Patrice BOURDELAIS : directeur d'études émérite à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Médias
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