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SARA, Carl Jonas Love Almqvist Fiche de lecture

Un parfum de scandale

Ce livre réellement iconoclaste, étant donné la date de sa publication et le milieu où il vit le jour (la Suède luthérienne bourgeoise et bien pensante du début du xixe siècle), ne se comprend pas si l'on oublie l'évolution intellectuelle de la Suède à l'époque et surtout la personnalité de l'auteur.

Dans les années 1830, le Nord, libéré des séquelles de l'aventure napoléonienne et fidèle au retour aux sources que prêchait le romantisme allemand (et notamment le philosophe J. G. Herder), est en train de redécouvrir ses racines et de revenir à une personnalité immémoriale, celle qu'illustrent les sagas, où l'être humain cherche éperdument à définir sa liberté, son indépendance et donc à s'affirmer soi-même. Comme ailleurs en Europe, ce romantisme trouvera des zélateurs du type flamboyant dont C. J. L. Almqvist est certainement le représentant le plus impétueux. Sorti d'un milieu aristocratique, il est en rupture de ban à tous égards. Il va consacrer une œuvre tumultueuse et multiple à traiter, dans une sorte de fourre-tout littéraire d'une impressionnante ampleur, Le Livre de l'Églantine, de tous les sujets imaginables, dans tous les genres connus, avec une prédilection pour le roman et la nouvelle, son thème préféré étant, dès le début, les relations du couple. Mais il se veut surtout iconoclaste et s'en prend avec fureur à l'ordre établi dans tous ses domaines : règles de l'Église, système d'éducation, divisions sociales, morale, etc. En un sens, il était inévitable qu'il en vînt un jour au thème du féminisme, en le poussant à son paroxysme, avec une prescience qui confond aujourd'hui.

Car la manœuvre est remarquablement subtile : une nature bonne, à la Rousseau, présidant à toute l'intrigue, des personnages attachants et vraiment crédibles (la petite Sara Videbeck est une réussite incontestable dans sa fraîcheur, sa spontanéité et son solide bon sens), un provincialisme de bon aloi, un joli voyage sentimental comme les aimait l'époque, une réflexion éclairée sur les conditions de vie contemporaines, et, au fond, éclatante, l'exaltation de la liberté totale de l'être, de la femme notamment qui se dresse contre ce que l'on appellera « les trois K » (Kinder, Kirche, Küche, « les enfants, la messe, la cuisine »). L'accent est délibérément mis sur les aspects les plus matériels de notre existence que nous nous refusons hypocritement à regarder, et le refus de l'insertion dans un cadre moraliste et bourgeois.

On ne saurait être surpris du scandale et des brimades qui suivirent cette publication (l'auteur finit par s'exiler aux États-Unis) et l'on ne se hâtera pas de condamner Sara sans appel : tout au fond de cette œuvre, il est possible de lire un rêve généreux de bonheur pour tous, à condition d'en poser lucidement et avec courage les conditions.

— Régis BOYER

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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