SĀRNĀTH
Une brillante école de sculpture
Les collections lapidaires du musée archéologique de Sārnāth offrent un résumé de l'évolution de la sculpture dans la région gangétique, du iiie siècle avant J.-C. au xiie siècle de l'ère chrétienne. Elles se composent de fragments d'architecture et de statues recueillis sur le site même et aux environs. Les pièces bouddhiques constituent un ensemble exceptionnel en raison de leur homogénéité et de la perfection dont beaucoup témoignent, surtout celles de la période classique Gupta et post-Gupta (env. ive-viiie s.). Les ateliers locaux bénéficièrent de la proximité de la carrière de Chunār, d'où l'on tirait un grès gris très apprécié dès la période Maurya (iiie s. av. J.-C.). Avec le magnifique « chapiteau d'Açoka », un ensemble important de petites têtes, aux faciès et aux coiffures très différenciés (portraits de donateurs ?), illustrent le style Maurya, tandis que des montants de balustrade présentent dans leur décoration de frappantes analogies à la fois avec les ouvrages de Bhārhūt et avec ceux du premier style de Šāñci (env. fin du iie s. av. J.-C.). Une grande statue en grès rouge du Bodhisattva (le Buddha Cākyamuni), amenée de Mathurā à Sārnāth, avait été dressée à l'endroit où, selon la légende, le Bienheureux aimait à méditer ; elle fut consacrée par un certain frère Bala dans la troisième année du règne de Kanisḳa (147 apr. J.-C. ?). Cette image puissante et rude a les traits des toutes premières effigies mathuriennes du Maître : frontalité, tête rasée, visage rond aux yeux grands ouverts, poing gauche sur la hanche et main droite (brisée) esquissant à hauteur de l'épaule nue l'abhayamudrā (« geste de non-crainte »), vêtement aux plis faits d'incisions parallèles, ceinture nouée. Elle jouit sans doute d'une grande considération car on voit auprès d'elle une réplique exécutée sur place en pierre de Chunār. La période Gupta vit se multiplier à Sārnāth des œuvres d'un équilibre parfait, alliant la robustesse à l'élégance et reflétant l'élévation de la pensée bouddhique. L'une d'elles (cf. gupta) incarne tout particulièrement l'idéal de l'esthétique indienne : le Buddha est assis à l'indienne sur un trône et de ses mains fait « tourner la roue », geste qui symbolise la prédication. Derrière lui se déploie un très grand nimbe circulaire, finement ciselé, sur lequel s'enlèvent des génies volants. Sur le socle figurent des orants – les cinq premiers disciples et une donatrice avec son enfant –, agenouillés de part et d'autre d'une roue de la Loi dressée entre deux gazelles. Du personnage, de son visage aux yeux mi-clos et au sourire à peine esquissé comme de son corps au modelé souple, visible sous l'étoffe mince d'où le drapé a disparu, émane une sereine grandeur. Debout, il adopte une attitude légèrement hanchée, gracieuse sans mièvrerie. Excellents techniciens, les artistes montrèrent néanmoins de la répugnance à traiter en ronde bosse ces idoles ; se détachant d'abord en haut relief sur le nimbe géant, celles-ci allaient bientôt occuper le centre de stèles. L'iconographie du Buddha, encore incertaine dans le style de Mathurā, s'était fixée avec le style Gupta. Celle des Bodhisattva, divinités compatissantes, ne cessa de s'enrichir. La complexité croissante de leurs représentations alla de pair, après la période post-Gupta, avec l'accentuation d'un certain maniérisme. Sans échapper à cette tendance, les pièces tardives de Sārnāth témoignent cependant d'une mesure qui fait trop souvent défaut dans les écoles médiévales bouddhiques du Bihār et du Bengale.
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Écrit par
- Rita RÉGNIER : chargée de recherche au CNRS, chargée de mission au Musée national des arts asiatiques-Guimet
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Médias
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