STONE SASHA (1895-1940)
Bien qu'il ait été l'un des photographes les plus importants de la République de Weimar, Sasha Stone n'a été redécouvert qu'au début des années 1990. Il fut un ami de Walter Benjamin pour lequel il composa la splendide couverture de l'édition originale de Sens unique, en 1928.
De son vrai nom Alexander Steintapir, Sasha Stone est né à Saint-Pétersbourg le 16 décembre 1895. Après des études d'ingénieur qui l'amènent à concevoir un canon électrique, dont il craint l'exploitation par la puissance tsariste, il émigre aux États-Unis, prend la nationalité américaine, change son nom pour celui de Stone et adopte pour prénom le diminutif d'Alexandre en russe, Sasha. Il est tour à tour employé dans l'industrie aéronautique, élève du sculpteur Hunt Diederich avec qui il réalise des inventions techniques, puis joaillier dans un petit atelier qu'il a créé. Il améliore son canon électrique puis en détruit les plans en pleine guerre et s'engage dans l'armée de l'air américaine. Déçu de voir ses inventions exploitées sans scrupule par son associé, il revient en Europe au début des années 1920, d'abord en France – il habite à Paris au 11, rue Daguerre –, avec une bourse de l'armée américaine, puis en Allemagne. Sa biographie comporte de nombreuses imprécisions, à croire, comme le suggère Hunt Diederich dans le très beau catalogue (Sasha Stone, Fotografien 1925-39, Serie Folkwang, Nishen), que Stone a voulu suivre la célèbre injonction de Brecht : « Efface tes traces ».
En 1923 on le retrouve dans le groupe G. Material für elementare Gestaltung en compagnie de l'architecte Mies van der Rohe et des artistes Naum Gabo, Hans Richter et Raoul Hausmann, un groupe que fréquente aussi Walter Benjamin. Contre l'idéologie de l'inspiration et de la création, le G. Gruppe préconise le training physique et la compréhension des techniques, autant de problématiques matérialistes familières à Benjamin. La Petite Histoire de la photographie, publiée par Benjamin en 1931, est nourrie des conversations qu'il a eues avec Sasha Stone, qui rappelons−le était primitivement, avant qu'il ne choisisse de la dédier à son fils, l'un des quatre dédicataires de la « Chronique berlinoise » (Écrits autobiographiques). En 1924, Stone ouvre à Berlin l'Atelier Stone au 13 de la Kurfürstenstrasse ; il publie pour la première fois en 1925 des photos, réalisées avec sa femme Cami Stone, dans le magazine Uhu, sous le titre « Une ménagère doit avoir 41 métiers ». Il travaille pour Die Dame, Die praktische Berlinerin, aborde des sujets divers comme le charleston, la chiromancie, les objets en verre, la parfumerie, les cadeaux... Il se consacre également à la photographie d'architecture avec les photos de l'usine électrique de Klingenberg (1929) parues dans Berlin in Bildern et un travail photographique consacré à la tour Einstein, un observatoire construit à Potsdam par Erich Mendelsohn, chef-d'œuvre de l'architecture expressionniste.
L'art de Sasha Stone relève assurément de l'esthétique contructiviste, le photographe ne capte pas le hasard, il construit l'image, il la « produit » avec des techniques, tout comme l'industrie produit des objets industriels que Stone ne manquera pas de photographier. Le corollaire de cette conception désacralisée de l'œuvre d'art est de limiter son rôle à son effet sur la société. On peut expliquer ainsi la prédilection de Stone pour l'objet construit par excellence qu'est l'architecture comme en témoignent encore les photos du Theater am Nollendortplatz de Piscator ou celles de l'appartement conçu par Marcel Breuer pour le célèbre metteur en scène. Il photographie aussi les corps « construits » des gens du cirque, parmi lesquels celles des frères Fratellini ou de l'illustre jongleur Enrico Rastelli, dont le [...]
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Écrit par
- Jean-François POIRIER : écrivain et historien d'art
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