SASSEN SASKIA (1949- )
Sociologue de la ville née en 1949 à La Haye, élevée à Buenos Aires puis à Rome dans un milieu intellectuel polyglotte, Saskia Sassen, appartient à une « génération désobéissante » et contestataire. L'année 1968 lui donne l'occasion de manifester contre l'injustice de l'ordre social. Ce qui est moins banal, c'est sa décision de partir pour l'Indiana pour y étudier sociologie et économie.
Après Rome, le contraste sera rude. « J'étais sans statut légal, sans diplôme, sans inscription formelle et je n'avais rien préparé. » Elle est prise à l'essai en master, travaille d'arrache-pied tout en prenant fait et cause pour les mouvements d'opposition en Amérique latine. Mais sa thèse en économie est rejetée, parce que trop politique, trop sociologique, trop en dissonance avec les attentes du jury. Ce rejet ne l'empêchera pas, par un étrange concours de circonstances, d'obtenir du Centre d'études internationales de Harvard une bourse post-doctorale.
Entre-temps, elle aura passé un été militant au Texas auprès de migrants mexicains et une année en France, à Poitiers, pour y faire une thèse de philosophie avec Jacques d'Hondt. De retour aux États-Unis, et après ruptures et bifurcations personnelles, elle s'installe à New York où la bohème n'exclut ni l'activisme politique (avec des incursions chaotiques, incroyablement dangereuses, en Amérique latine), ni un enseignement à Queens College. Son recrutement ultérieur par Columbia University coïncidera avec la retombée de l'effervescence politique qui avait caractérisé les années 1980. Elle partage la vie du sociologue Richard Sennett depuis vingt ans, et se meut dans un milieu d'intellectuels européens, de new yorkais, d'expatriés animés, comme elle, par un désir de justice sociale. Après un long passage à Chicago, cette femme chaleureuse, charismatique, grande figure de la sociologie contemporaine, partage ses cours entre Columbia University et la London School of Economics et dispense son expertise auprès de multiples publics aux quatre coins de la planète. Elle mène avec brio une impitoyable démystification des phénomènes de mondialisation et, surtout, montre combien il est important de se doter de rigueur intellectuelle pour tenter de comprendre l'évolution accélérée du monde contemporain.
Grandir dans quatre pays, pratiquer cinq langues, cela explique peut-être l'inclination de Saskia Sassen envers les phénomènes de mondialisation. Sa connaissance imprécise des langues l'a conduite, dit-elle modestement, à fabriquer des mots ou des expressions (cityness – urbanité étant trop occidental –, ville globale, concept moins braudélien que ville-monde, etc.) pour rendre compte des interstices, des vides, des décalages que décèle son regard.
Alors que, conformément à une idée répandue, les grandes entreprises pourraient s'affranchir des métropoles aux prix immobiliers exorbitants, Saskia Sassen constate que certaines villes mondialisées (New York, Londres, Tōkyō), sont constitutives d'une nouvelle centralité incontournable ; de ce fait, les prix explosent dans les quartiers d'affaires où sont concentrés les groupes financiers et les multinationales, détenteurs du capital global. La langue française distingue globalisation, souvent assimilée à américanisation et à dérégulation, et mondialisation, phénomène très ancien, synonyme d'expansion à l'échelle planétaire. Dans La Ville globale (1994), Saskia Sassen démontre que plus est forte la dispersion des activités économiques à l'échelle de la planète, plus s'impose la concentration de la gestion, de la planification, du commandement et du financement de ces activités dans des lieux mondialisés.
Par ailleurs, l'optimisation des moyens matériels et humains entraîne le développement[...]
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Écrit par
- Sophie BODY-GENDROT : professeur des Universités à l'université de Paris-IV-Sorbonne, directeur du Centre d'études urbaines, chercheur au C.N.R.S. (C.E.S.D.I.P.)
Classification
Autres références
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MONDIALISATION (sociologie)
- Écrit par Denis COLOMBI
- 2 364 mots
...l’État a été en faveur dans les années 1990. Le tableau est pourtant plus nuancé : on assiste plutôt à une recomposition de son rôle. Comme l’analyse Saskia Sassen, ce sont les États qui ont autorisé la mondialisation, en ouvrant leurs frontières, en libéralisant les marchés financiers ou en transférant...