SATAN
Fluctuations d'une croyance
Bien que la croyance en l'existence d'une puissance surnaturelle mauvaise soit une doctrine traditionnelle dans le christianisme, les opinions relatives au mode et au degré de présence de Satan dans le monde ont subi de notables variations selon les époques. Si les cultes païens ont été regardés comme l'œuvre de Satan, comme une entreprise pour détourner les hommes de l'adoration de Dieu au profit de celle des idoles, on ne brûlait pas pour cela leurs fidèles, on tentait de les convertir ; il n'en était pas de même des hérétiques, dont l'opposition à l'Église, en pleine connaissance de cause, ne pouvait être que satanique. Longtemps la sorcellerie fut pourchassée, mais comme païenne ; et les pouvoirs des sorciers étaient considérés comme illusoires (interprétation augustinienne). Bien que la crainte du Diable et de l'enfer ait été vive au Moyen Âge, Satan était souvent ridiculisé dans les fabliaux.
Mais à la fin de la période médiévale se produisit un phénomène collectif où la croyance en Satan atteignit des proportions fantastiques : la sorcellerie fut prise au sérieux ; on admit ses pouvoirs comme étant réels (envoûtements, capacités physiques supranormales, sabbats) et comme provenant de Satan. On crut à une sorte de Contre-Église des sorciers, fondée sur un pacte avec Satan à un culte aux rites abominables, célébrés durant les sabbats (meurtres d'enfants, sacrilèges, rapports sexuels avec Satan, etc.). Du xive au xviie siècle se développa, du fait de l' Inquisition (et sous l'influence des manuels d'inquisition, tels que Le Marteau des sorcières, 1486), une « chasse aux sorcières » d'une férocité inconcevable : des milliers de sorcières furent brûlées vives, après avoir subi les tortures les plus extrêmes. Il est difficile de comprendre cette aberration collective, à laquelle participèrent les esprits les plus cultivés du temps. Qu'il existât des sorcières convaincues de leurs pouvoirs, c'est certain ; qu'elles aient cru voler dans les airs et participer à des sabbats, c'est possible, et cela s'explique par les mêmes mécanismes que les fausses possessions, probablement aussi par l'usage de substances hallucinogènes. Mais il est certain également que des milliers d'innocentes ont avoué sous l'effet de la torture.
La croyance en Satan, après s'être affaiblie au siècle des Lumières, réapparut au xixe siècle et joua un rôle important dans la littérature. On se souvint qu'avant de tomber Satan était Lucifer, le plus beau des anges, l'ange de lumière. On l'imagina injustement puni, malheureux, on voulut le sauver. L'idée d'un salut final de Satan remontait à Origène et se retrouve chez G. Papini ; mais elle est tenue pour hérétique et fut condamnée par le concile de Constantinople, car Satan n'a pas été rejeté par Dieu, il s'est au contraire séparé de lui. Dieu ne peut pardonner à qui ne demande pas le pardon. Le premier engagement libre de la volonté de Satan est définitif, son péché est irréversible ; il « est irrémédiable parce qu'il l'a commis sans que personne le lui eût suggéré, sans qu'il eût non plus quelque penchant au mal lui venant d'une suggestion antérieure : d'aucun péché de l'homme on ne peut en dire autant » (Thomas d'Aquin). Au xixe siècle également, Satan fut présenté comme le symbole de la révolte et de la liberté, la liberté absolue ne pouvant être qu'une revendication de soi contre Dieu. De manière symétrique, certains chrétiens condamnèrent toute revendication de liberté comme satanique, et même, à la fin du siècle, une hostilité obsessionnelle vis-à-vis de la franc-maçonnerie leur fit assimiler cette dernière à une Contre-Église satanique (affaire Léo Taxil). Dans la littérature[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Hervé ROUSSEAU : diplômé d'études supérieures de philosophie, économiste
Classification
Média
Autres références
-
ANTÉCHRIST
- Écrit par Hervé SAVON
- 1 183 mots
- 1 média
C'est dans un texte du Nouveau Testament — la première Épître de Jean (fin ier/déb. iie s.) — qu'apparaît pour la première fois le mot grec antichristos, dont le français « antéchrist » est le calque imparfait. Cependant, on voit se former l'idée d'un antimessie — c'est...
-
CATHARES
- Écrit par Christine THOUZELLIER
- 6 763 mots
- 2 médias
...crucial est celui du mal, qu'on trouve dans l'univers rempli de créatures vaines et corruptibles, et qu'ils ne peuvent imputer à Dieu. Leur foi repose sur la conviction commune que ce monde visible et tout ce qu'il renferme est l'œuvre du diable. Selon le traité de Bartholomé de ... -
JOB LIVRE DE
- Écrit par André PAUL
- 710 mots
- 1 média
Le Livre de Job est classé parmi les Écrits (Ketubim) dans les différentes Bibles, mais à des endroits qui varient (dans le canon catholique, la version syriaque le met entre le Pentateuque et le Livre de Josué, tandis que la Vulgate le place en tête des livres didactiques). Ces divergences s'expliquent...
-
MICHEL saint, archange
- Écrit par André PAUL
- 308 mots
Dans la tradition chrétienne et juive, Michel (en hébreu, mi-ka-El, « qui est comme Dieu ? ») est le plus grand des anges, lesquels sont classés selon une hiérarchie ordonnée. Le Livre de Daniel est le seul livre de l'Ancien Testament qui le connaisse (x, 13, 21 ; xii, 1) ; Michel...
- Afficher les 9 références