SATIRE
Satire et naturel
Il suffit de peu de chose pour que les voies du comique (monologue, dialogue, autres procédés repris des Anciens et des Italiens) deviennent les voies du naturel. Comme les autres genres, la satire classique se propose d'« imiter les actions humaines ». Comme les autres genres, mais avec plus de simplicité : chez l'Arioste et chez Régnier, chez Furetière et chez Boileau, le vraisemblable se trouve saisi au niveau de la réalité quotidienne, et l'œuvre a un parfum d'authenticité vécue. Si paradoxal que cela paraisse, la modération n'a jamais fait trop mauvais ménage avec la satire. Déjà les « satyriques » du baroque français avaient, en peu d'années, bien tempéré leurs insanités pour en venir à la description, à peine rehaussée de quelque bouffonnerie, du cadre tout réaliste de l'existence courante. À l'idéal moral d'une certaine conformité correspondit l'âge d'or de la satire littéraire : entre 1660 et 1730, en France et en Angleterre.
L'« honnête homme », féru de conversation élégante, avait appris de Montaigne à cultiver le détachement d'un apparent nonchaloir, tout en suivant fort bien la pointe de son sujet. D'où la souplesse, la « bizarrerie » que Régnier emprunte des Essais. C'était la tradition horatienne : d'une part, la satura, c'est-à-dire le « mélange », portait sur une variété de détails illustrant un thème traité sur le mode de l'entretien à bâtons rompus ; d'autre part, la satire était proche parente de l' épître. Horace appelait ces compositions des sermones, des conversations, ou plutôt l'écho privilégié d'un des interlocuteurs, l'extrait choisi d'une conversation aimable. Le xviie siècle, qui assistait, d'autre part, à l'épanouissement d'une littérature épistolaire en prose, n'était pas mal placé pour apprécier ces intentions. Déjà l'Arioste, prenant le ton de la confidence, avait développé dans ses Satires une méditation morale sur sa vie, ses goûts et sa personne. Mais, une fois la Renaissance passée, ces épanchements d'épicuriens suffiraient-ils à nourrir la satire ? Ils avaient pu se faire l'écho d'une sagesse qui captait au profit des Modernes l'optimisme des Anciens. Les temps nouveaux, moins pleins d'illusions, et, devant le moi, plus retenus, ne connaissaient guère qu'un épicurisme de salon, promis à la poésie pastorale.
Privée des facilités de l'anticonformisme, la satire littéraire ne s'éteignit pas. La « libre pensée » ne lui était pas essentielle ; elle se contenta du « sel attique ». C'est, en effet, l'époque où les critiques reprirent la lecture des maîtres latins du genre (Isaac Casaubon, 1605). Heinsius et Rigault notèrent, chez les Latins, l'art de la saillie : la faculté d'étonner, l'agréable raillerie l'emportaient en mérite sur les sujets traités, et même sur l'intention morale. Boileau a voulu obtenir ces effets, d'abord en faisant défiler dans ses vers ces tableautins dont les critiques qui le font « bourgeois » admirent le réalisme, ensuite en multipliant les allusions moqueuses dont une proportion notable s'attache à ses propres ridicules. Mais le propos du satirique ne saurait s'abstraire de la considération d'un public, et il jugeait plus important de « réjouir les honnêtes gens » que de mettre en œuvre telle ou telle technique. Dryden et Pope, de leur côté, savaient entourer leurs ennemis, qu'ils empêchaient par là de réagir, des bandelettes d'une admiration feinte. Impitoyables, ils raffinaient sur des politesses dont les destinataires se relevaient d'autant moins qu'elles reflétaient la tradition du genre.
En France et en Angleterre, les innombrables imitateurs de[...]
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Écrit par
- Roger ZUBER : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-X-Nanterre Nanterre
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Média
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