TCHERNIKHOVSKY SAÜL (1875-1943)
L'origine de la poésie hébraïque remonte à des temps immémoriaux. Sa période classique se situe entre les xe et viie siècles avant l'ère chrétienne. Par le fait des continuelles persécutions infligées aux Juifs depuis la grande Dispersion, la poésie hébraïque fait entendre surtout des sons douloureux, nostalgiques, mais elle ne s'est jamais tue. Au fil des événements, elle passe de la Judée en Babylonie, puis elle traverse la Méditerranée et connaît, du xe au xiie siècle de notre ère, un âge d'or en Espagne. Au xve siècle, elle refleurit dans son pays d'origine, prend un nouvel essor au xviiie siècle en Europe centrale et en Italie, pour s'épanouir un peu plus tard dans l'Empire russe d'où elle revient en Israël, bouclant ainsi son prodigieux périple. En Russie, la poésie hébraïque est dominée, à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, par Bialik et Tchernikhovsky.
Un « Athénien hébreu »
Alors que Haïm-Nahman Bialik, le chantre national tout imprégné des traditions ancestrales, vivait au sein de la dense population juive de la « Petite Russie » où l'on suivait strictement les prescriptions religieuses (et cela dans un paupérisme endémique), Saül Tchernikhovsky, lui, venait d'un tout autre milieu. Il est né à Mikhaïlovsk, village de la Crimée méridionale dont le climat rappelle à la fois la Grèce et la Judée. Ses parents, relativement aisés, étaient les descendants des colons juifs installés dans la luxuriante campagne de la presqu'île depuis de nombreux siècles. Sans oublier leur origine, ils vivaient en bonne intelligence avec leurs voisins, les Tatares. Aussi le jeune et impétueux Saül se gorgeait-il de soleil et de la beauté du site. Deux savants lituaniens, qui s'étaient installés dans cette attrayante région, lui donnèrent le goût de l'hébreu. À douze ans, il écrivait déjà des poèmes dans la langue des prophètes. Trois ans plus tard, on l'envoya étudier à Odessa où s'était constitué un centre hébraïque qui accueillit le nouveau venu.
C'est là qu'il est saisi par le démon de la poésie. Tchernikhovsky chante, en hébreu, des thèmes qui, par leur licence, ne sont guère familiers à la langue sacrée. Il se montre fort peu soucieux des doctrines officielles du judaïsme.
À Odessa, il s'applique, en outre, à l'étude du français, de l'allemand et de l'anglais, au point qu'il arrive à lire, dans le texte, Goethe, Shelley, Alfred de Musset. Comme il désire entrer à la faculté des sciences naturelles, il lui faut aussi apprendre le grec et le latin dont il profitera grandement plus tard.
Ayant opté pour la médecine, il se rend à Heidelberg où, tout en étudiant, il continue à écrire en puisant largement aux sources païennes. Il y célèbre les mérites des filles et des vins rhénans, comme il avait vanté ceux des filles tatares. Se considérant comme un Athénien hébreu, enhardi par le cadre romantique et subissant l'influence de ses maîtres allemands, il écrit un poème, « Devant la statue d'Apollon », qui fait sensation et... scandale :
Je suis venu chez toi. Me reconnais-tu ? Je suis le Juif. Il existe entre nous une querelle éternelle ; les eaux de l'océan ne suffiraient pas à combler l'abîme qui nous sépare. [...] Je me prosterne devant le Beau et le Sublime, devant ce qui est grand dans l'Univers [...] Toutes ces belles choses que des hommes sans vie [...] ont enlevées à Shadaï-Dieu-Roc et qu'ils ont enchaînées dans les cuirs des philactères.
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Écrit par
- Isaac POUGATCH : écrivain, traducteur
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Autres références
-
HÉBRAÏQUES LANGUE & LITTÉRATURE
- Écrit par Valentin NIKIPROWETZKY et René Samuel SIRAT
- 8 474 mots
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