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SAVANT CHERCHE REFUGE (S. Balibar) Fiche de lecture

Quand la science rencontre l’histoire

Michel Magat, Edmond Bauer, Lydia Ochs et Laszlo Tisza - crédits : Collection personnelle de Laszlo Tisza

Michel Magat, Edmond Bauer, Lydia Ochs et Laszlo Tisza

L’ouvrage veut rendre justice aux travaux et à la personne de Tisza. Mais il ne constitue pas non plus une biographie ou une reconstruction a posteriori de l’histoire de ses découvertes scientifiques. L’auteur a choisi de mettre en scène la vie du scientifique parmi celles des autres chercheurs, de sa période de formation à ses exils, en laissant monter jusqu’à sa conscience des associations d’idées, des souvenirs, des questions, et tout ce processus mental de préparation d’une conférence. C’est ici celle qui eut lieu en 2007 à l’occasion du centenaire de Tisza, alors dernier survivant de cette quête qui a permis d’éclairer un phénomène physique macroscopique par la physique quantique. Comment raconter les bouleversements qui eurent lieu dans la vie de ce petit monde, où chacun se connaît et pratique la même science ? Pourquoi Landau, le héros scientifique soviétique, ne cite-t-il jamais Tisza qui l’a devancé, ou encore Fritz London ? Comment montrer la générosité des collègues français, de l’administration du CNRS et du Collège de France à l’égard de Tisza (et de bien d’autres), alors que la xénophobie et l’antisémitisme étaient déjà très présents ? Des figures remarquables s’imposent, comme celles des physiciens du Collège, en particulier les Joliot-Curie, et celle moins connue du biologiste Louis Rapkine, à qui on devra le renouveau de la science en France après la guerre. Rendant compte de ce bouillonnement, Balibar entraîne son lecteur dans une sorte de rêverie sur ce moment particulier de l’histoire : il y a du « dormeur éveillé », tel que l’évoque J.-B. Pontalis, là-dedans. La multiplicité des noms, des lieux et des contacts ne gêne plus ; dominent les mouvements de la raison et des affects. Certaines vies de scientifiques se brisent dans l’exil assez longtemps pour cesser de figurer parmi celles auxquelles on s’intéresse. Et la découverte essentielle de Tisza, en 1938, l’introduction de la condensation de Bose-Einstein pour expliquer la superfluidité de l’hélium, sera exploitée par d’autres. Piotr Kapitsa, en URSS, perdra plusieurs années de travail scientifique sur le même sujet pour s’être opposé à Béria. La politique tire de son côté parti de la tragédie collective : c’est ainsi que l’exil américain de certains grands physiciens allemands a permis la réalisation du projet Manhattan et déplacé aux États-Unis le centre de la recherche en physique. Quant à l’Allemagne, elle a non seulement perdu la guerre, mais aussi son quasi-monopole sur cette discipline. Et beaucoup de ceux qui sont restés, comme Heisenberg, ont vu leur image définitivement ternie.

Sébastien Balibar rend ainsi justice aux travaux de Tisza et à sa personnalité d’une douceur et d’une générosité apparemment hors du commun. Et l’on comprend bien pourquoi ce chercheur juif hongrois est le meilleur guide qui soit dans cette histoire violente. Si l’importance du rôle d’un scientifique ne doit pas se mesurer aux prix qu’il a reçus, l’auteur nous fait ressentir combien ne pas en recevoir peut aussi constituer un drame personnel pour celui-ci. Et parce que Tisza n’a reçu aucun des grands prix qu’il méritait, il est juste de lui donner sa place et de la situer par rapport à celle des autres. C’est ce que fait cet ouvrage foisonnant : personne ne manque, Tisza et tous les autres apparaissent pour ce qu’ils ont trouvé, avec qui et dans quelles conditions. Sous les drames imposés par la politique, en particulier nazie – mais elle n’est pas seule –, la vie des scientifiques a aussi suivi son cours humain.

— Gabriel GACHELIN

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Écrit par

  • : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur

Classification

Média

Michel Magat, Edmond Bauer, Lydia Ochs et Laszlo Tisza - crédits : Collection personnelle de Laszlo Tisza

Michel Magat, Edmond Bauer, Lydia Ochs et Laszlo Tisza