SCENES FROM A MARRIAGE, série télévisée
Une masculinité en perte de repères
La principale différence entre les deux versions tient à l’inversion des rôles au sein du couple. Dans la version américaine, c’est Mira qui gagne le mieux sa vie, rentre de plus en plus tard du travail, délaisse sa fille et finit par tromper son mari. On peut voir là une quête de modernité de la part de Hagai Levi, visiblement désireux de se mettre à la page en accordant également – de façon quelque peu schématique – une place de choix à la religion (Jonathan est juif issu d’une famille orthodoxe), à la maladie (les accès de panique du même Jonathan se traduisent par des crises d’asthme ponctuelles) et aux nouvelles technologies (dès la scène d’ouverture, l’attention de Mira est attirée par les vibrations de son téléphone portable).
On peut aussi voir dans ces modifications un manifeste en faveur de la liberté sexuelle et financière des femmes, dans le sillage du mouvement de libération « Women’s Lib » (Women’s Liberation Movement) né aux États-Unis à la fin des années 1960. Cependant, Ingmar Bergman évoquait déjà ce mouvement féministe dans sa minisérie de 1973, et s’assurait que son héroïne, plutôt que de subir les soubresauts de son existence en victime expiatoire, en ressorte grandie, plus sûre de son corps et de ses désirs personnels. Chez Hagai Levi, la problématique porte plutôt sur cette masculinité postpatriarcale, postviriliste, qui se voit profondément déstabilisée. Il en résulte une reformulation assez douce, paisible, intimiste de la vision originelle de Bergman, comme pour contrebalancer l’hystérie médiatique, politique et sociale du monde contemporain. S’appuyant sur une langue anglaise un peu moins « rêche » que le suédois, sur la musique apaisante des frères Evgueni et Sacha Galperine, et sur des scènes de sexe plus charnelles (tout en conservant une certaine forme de pudeur), le remake de Hagai Levi tend à démontrer qu’à l’ère du repli sur soi et de la montée des extrêmes, on peut s’aimer non pas dans le déni, mais à la lueur de ses différences. Cela s’appelle la maturité.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Benjamin CAMPION : docteur en études cinématographiques et audiovisuelles, enseignant contractuel à l'université Paul-Valéry-Montpellier III
Classification
Média