SCÉNOGRAPHIE LYRIQUE
Même si l' opéra a pu apparaître comme une forme extrême, idéale ou totale de théâtre, la mise en scène lyrique obéit à des lois spécifiques : la platitude de la plupart des livrets, la faiblesse des situations, la pauvreté de la psychologie limitent la part de la réflexion dramaturgique et de la direction d'acteurs au profit du prestige de l'image scénique ; et, surtout, les exigences du chant et la contrainte du temps musical fixé par la partition dépossèdent le metteur en scène de la maîtrise du rythme du spectacle, de l'intonation et de la diction des interprètes, donc d'un élément essentiel de l'expressivité.
C'est sans doute ce qui explique que l'opéra n'entre dans l'ère de la mise en scène conçue comme une création autonome – que les historiens du théâtre s'accordent à dater des années 1880 – qu'avec soixante-dix ans de retard. On voit pourtant se formuler, dès la fin du xixe siècle, une théorie de la mise en scène lyrique : la réflexion d'Adolphe Appia sur les contradictions du système wagnérien, qui aboutit à une réforme radicale de la scène, connaît peu d'applications immédiates ; mais elle influence directement les recherches de Wieland Wagner à Bayreuth, qui inaugurent la vraie prise de pouvoir du metteur en scène à l'opéra. Désormais, la mise en scène lyrique est traversée par les mêmes débats et les mêmes lignes de partage que la mise en scène théâtrale ; pourtant, ni l'intérêt croissant des plus grands metteurs en scène de théâtre et de cinéma pour la « relecture » des œuvres du répertoire, ni les tentatives récentes pour faire éclater l'espace de la représentation ne peuvent abolir complètement la frontière qui sépare le théâtre parlé de ce théâtre à la fois excessif et conventionnel que demeure l'opéra.
Le temps des théories : la critique du naturalisme
La notion de mise en scène conçue comme organisation globale et unitaire du spectacle d'opéra n'apparaît pas avant le xixe siècle ; jusque-là, le « machiniste », éventuellement assisté du librettiste et du maître de ballet, règle les changements à vue et les entrées des chanteurs, dont la gestuelle et les déplacements sont déterminés par l'improvisation, par la tradition qui fixe la hiérarchie des places sur le plateau, et surtout par les toiles peintes selon les lois de la perspective, qui interdisent au chanteur de s'éloigner de l'avant-scène. L'exécution de ces décors, de plus en plus chargés, de plus en plus luxueux, est confiée jusqu'au début du xxe siècle à des peintres différents, spécialisés dans les représentations de châteaux, de palais, de forêts...
Dans ses œuvres théoriques des années 1850 (Opéra et drame, L'Œuvre d'art de l'avenir), Wagner formule nettement l'exigence d'une unité de conception et de réalisation du spectacle lyrique ; mais l'idéal du Gesamtkunstwerk, œuvre d'art totale dans laquelle convergeraient non seulement la musique et la poésie, mais la danse, la peinture, la sculpture, est sans doute moins fécond pour l'histoire de la mise en scène lyrique que sa faillite, constatée par Wagner lui-même. À Bayreuth, les esquisses des peintres Josef Hoffmann et Paul von Joukowsky, d'après lesquelles les frères Max et Gotthold Brückner réalisent costumes et décors, restent tributaires de la surcharge archéologique et anecdotique du décor illusionniste, tandis que la direction d'acteurs, inspirée du style de jeu des Meininger, introduit plus de mobilité et de vie sur le plateau : lorsque Wagner incite chanteurs et choristes à jouer non vers la salle, mais les uns vers les autres, il ne fait que mettre en œuvre la théorie naturaliste du « quatrième mur », qui paraissait inapplicable à l'opéra ; mais ce souci de réalisme (qu'Albert Lavignac rapproche[...]
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Écrit par
- Alain PERROUX : chargé de mission pour le service culturel du Grand Théâtre de Genève
- Alain SATGÉ : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, docteur de troisième cycle, assistant à la faculté lettres de Rouen
Classification
Médias
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