SCÉNOGRAPHIE LYRIQUE
Le renouveau de l'après-guerre : approches dialectiques, approches idéalistes
Pour rendre compte du renouveau du spectacle d'opéra dans les années 1950, on invoque souvent pêle-mêle le rôle de metteurs en scène spécialisés dans le théâtre lyrique, comme Wieland Wagner ou Walter Felsenstein, d'hommes de théâtre ou de cinéma, comme Giorgio Strehler ou Luchino Visconti, ou encore de l'exceptionnelle chanteuse-actrice que fut Maria Callas. Ces divers phénomènes ont pourtant des significations très différentes : il n'y a rien de commun entre le travail d'un Wieland Wagner, qui subordonne tous les éléments de la représentation à une interprétation globale de l'œuvre, et l'individualisme d'une Callas, qui conçoit la mise en scène comme une simple régie au service de l'inspiration du chanteur. Par la puissance expressive de son jeu et surtout de son chant, qui transforme l'espace vocal en espace théâtral, Callas a su redramatiser les œuvres les plus abstraites du répertoire négligé du bel canto ; mais les meilleurs metteurs en scène avec lesquels elle a travaillé, Zeffirelli (Le Turc en Italie, 1955 ; Toscaet Norma, 1964), et surtout Visconti (La Vestale, 1954 ; La Somnambule et La Traviata, 1955 ; Anna Bolena et Iphigénie en Tauride, 1957) n'ont pu imaginer leurs spectacles, d'un historicisme ou d'un esthétisme raffinés, que comme des écrins destinés à mettre en valeur la personnalité de la cantatrice.
Même s'ils partagent la même éthique de la représentation lyrique, conçue comme un travail collectif, à l'opposé de tout star system, Wieland Wagner à Bayreuth et Walter Felsenstein au Komische Oper de Berlin-Est engagent la mise en scène d'opéra dans deux voies divergentes, celle d'un idéalisme inspiré du symbolisme et d'Appia, celle d'un réalisme critique influencé par Brecht, qui dépasse le réalisme stanislavskien vers un théâtre « épique » ou dialectique, et dénonce l'opéra comme « genre culinaire ».
À partir de 1947, Walter Felsenstein fait du Komische Oper un équivalent « lyrique » du Berliner Ensemble ; son travail dramaturgique (au sens brechtien du mot) sur la « fable » des opéras le conduit à revenir à la version originale de Carmen, en remplaçant les récitatifs de Guiraud par les dialogues parlés (1948, direction Otto Klemperer), ou à proposer une version nouvelle des Contes d'Hoffmann (1954) ; il aborde un répertoire très éclectique, de l'opérette (Orphée aux enfers et Barbe-Bleue, d'Offenbach) à Mozart (La Flûte enchantée), Verdi (Le Trouvère, Othello), Wagner (Le Vaisseau fantôme) ou Janáček (La Petite Renarde rusée), en s'efforçant de traiter les œuvres les plus célèbres comme des œuvres inconnues. Surtout, il s'attache, à la suite de Stanislavski, à définir un nouveau style d'interprétation pour ce qu'il appelle le « Musiktheater » ; s'il reconnaît à son tour la nécessité de s'appuyer avant tout sur la musique et le chant, il garde ses distances vis-à-vis du « théâtre de la convention ». « L'homme qui chante a quitté la vie quotidienne, non pas la vie » : il s'agit de refuser le réalisme anecdotique, sans pour autant évacuer la réalité.
Comment concilier l'émotion du théâtre lyrique avec la distanciation du théâtre épique ? C'est aussi la question à laquelle tente de répondre Giorgio Strehler, inventeur d'une « voie italienne » du brechtisme. En 1947, l'année même de la fondation du Piccolo Teatro, il met en scène La Traviata à la Scala ; il ne cesse plus de travailler parallèlement pour les deux théâtres. Il monte Prokofiev (L'Amour des trois oranges, 1948 ; L'Ange de feu, 1955 ; Pierre et le loup, 1959), Brecht-Weill (Mahagonny, 1964), les opéras « politiques[...]
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Écrit par
- Alain PERROUX : chargé de mission pour le service culturel du Grand Théâtre de Genève
- Alain SATGÉ : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, docteur de troisième cycle, assistant à la faculté lettres de Rouen
Classification
Médias
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